Article publié en ligne sur le site de L’Amorce. Revue contre le spécisme, le 7 décembre 2025. Extrait :
Les chiffres sont importants. En 2014, je calculais qu’il faut seulement 2,4 jours pour tuer autant d’animaux terrestres qu’il y a eu de morts humaines durant toutes les guerres de l’histoire de l’humanité.
Les guerres se poursuivent. La guerre contre les animaux aussi. Et de manière prévisible, la tragédie va en s’accélérant.
Selon les plus récentes données colligées par Faunalytics[1], le nombre annuel d’animaux terrestres tués pour la consommation s’élève désormais à 85 444 639 663 (statistiques de 2023) alors que les données de la FAO que j’utilisais affichaient 62 768 239 047 en 2010. Autrement dit, en treize ans, nous assistons à une augmentation de 36 % de victimes de l’élevage. Il faut désormais 1,7 jour pour tuer autant d’animaux terrestres qu’il y a eu de morts durant toutes les guerres de l’histoire.
Image empruntée à Faunalytics: voir sur leur page pour une version interactive. À noter que pour les oiseaux (poulets, canards et dindes), chaque unité représente 1000 individus, sans quoi leurs barres de progression auraient éclipsé toutes les autres espèces.
Le philosophe politique John Rawls définit le concept de société comme étant une « association d’associations », soulignant par là —et de manière plutôt éloquente, je trouve— que nous ne pouvons nous attendre, dans nos sociétés pluralistes contemporaines, à ce que tout le monde s’entende sur un seul et unique mode de vie, mais que cela ne nous empêche pas de nous reconnaître mutuellement comme faisant partie d’un ensemble plus large de coopération. En d’autres mots, il y aura toujours des divergences profondes sur des questions morales et sociales, mais peut-être pas sur le fait que nous avons besoin des uns et des autres pour continuer à vivre en société.
Est-ce que même ce lien social minimal est mis à mal par les temps qui courent ? Il est devenu un lieu commun que de dire que nous assistons à une fissure du tissu social, au point où de nombreux groupes en viennent à se demander si le camp opposé peut encore légitimement faire partie de la société tant celui-ci n’est pas respectable et commet des atrocités inacceptables. Cette fracture sociale est loin d’être nouvelle, mais elle est peut-être amplifiée par les réseaux sociaux et les différents algorithmes du web favorisant les chambres d’échos de part et d’autre, entraînant une polarisation et une radicalisation des différentes positions. Que ce soit le clivage politique gauche-droite traversant la plupart des sociétés, ou encore les tensions entre un mouvement social et les personnes y étant opposées ou simplement indifférent∙es (pour citer un exemple, plusieurs des lecteurs∙trices ici connaissent bien les rapports entre véganes et non-véganes… ou encore entre véganes !), entre confessions religieuses ou groupes nationaux, ou lorsque des personnes en viennent à adhérer à des théories du complot, il semble que bien des choses nous divisent et mettent en doute notre capacité à collaborer et à garder des liens.
C’est ainsi que, confronté∙es à une personne ne partageant pas nos valeurs et principes fondamentaux, on en vient à être inconfortables, à développer une mauvaise opinion d’elle et à éviter sa compagnie. Il devient même tentant de vouloir lui accoler des épithètes péjoratives, à caricaturer ses positions, ses arguments, voire à dénigrer ses qualités morales — si elle pense telle chose, n’est-elle pas au fond une mauvaise personne ? À un certain point, celle-ci devient à nos yeux une étrangère morale, c’est-à-dire qu’on semble évoluer dans un univers moral différent du nôtre et que ses croyances et actions nous paraissent tout simplement dénuées de sens. Et on sait combien la pente glissante de l’exclusion, de la stigmatisation, voire de l’agressivité et de la violence, se pointe du moment que certains groupes sont considérés étrangers — phénomène que l’on appelle en anglais l’otherization, ou en français l’altérisation, soit le fait de considérer ces individus comme étant essentiellement des Autres, ne faisant pas partie du Nous.
Je pose donc la question : pourquoi nous éloignons-nous les uns des autres aussitôt qu’il y a des divergences morales et politiques ?
On peut bien avoir des convictions morales profondes et croire que les autres n’étant pas en accord avec nous sont dans le tort et font du mal. Mais pourquoi cela nous mène si souvent à rejeter ces personnes et à caricaturer tout ce qu’elles pensent ? J’ai envie de croire que d’autres voies sont possibles, que nous pouvons continuer à être ami∙es, des concitoyen∙nes qui peuvent se parler et se respecter, et que nous pouvons garder un lien malgré nos désaccords — sans nier ces désaccords pour autant, mais plutôt en ne réduisant pas la relation à ceux-ci. Même lorsqu’une personne endosse des idées que nous abhorrons et que nous trouvons socialement dangereuses, j’ai envie de croire que non seulement le lien mérite d’être préservé mais qu’on a encore de plus fortes raisons de le préserver. C’est une chose que de bâtir un mouvement social et de s’allier avec des personnes partageant nos valeurs, mais nous perdons aussi beaucoup à cesser de nourrir des liens avec des personnes n’étant pas comme nous.
(Note personnelle: mes excuses, j’ai négligé ce site ces derniers mois pour des raisons de doctorat, de voyages d’études, de conférences et bientôt d’enseignement. Je me suis également impliqué dans divers projets militants, dont le Festival végane de Montréal ainsi que les Estivales, que je co-organise et dont je parle ci-contre. Mais je reviendrai un jour en force avec de nouvelles réflexions à partager!)
Le mouvement pour la cause animale étant en pleine effervescence au Québec, il est grand temps que les personnes s’y intéressant se rencontrent pour échanger et pour nouer des liens plus solides. C’est pourquoi nous vous invitons, les 24 au 27 juillet 2017, aux Estivales de la question animale édition Québec, un rendez-vous annuel qui s’inspire d’une tradition qui a lieu chaque été en France depuis 2003!
Les Estivales prennent la forme de rencontres où sont partagées connaissances, expériences et opinions. Elles sont ouvertes à toutes les personnes intéressées de près ou de loin par la question animale, que ce soit à titre individuel ou en tant que membre de diverses associations. Le tout se déroule dans un esprit inclusif, communautaire et convivial. Ainsi, les participant-e-s séjournent quelques jours ensemble et participent aux activités planifiées en se partageant les tâches collectives (cuisine, ménage, vaisselle, s’occuper des animaux sur les lieux, etc.).