Petite histoire de l’origine du mouvement anti-vivisection

© Wikimedia Commons

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Très tôt, de nombreuses femmes se sont engagées au premier plan du mouvement social en faveur des animaux, ce dont témoigne cette liste historique recueillie par le Vegan Feminist Network. Malheureusement, leur contribution tend à être oubliée, alors que les noms d’hommes intellectuels (dont Peter Singer, Tom Regan ou Gary Francione) figurent immanquablement dans toute initiation à la question des droits des animaux. Encore une fois, on peut craindre que la force politique des hommes réécrive l’histoire à sa manière.

Cet extrait du livre Animals and Society: An Introduction to Human-Animal Studies (2012, Columbia University Press), écrit par Margo DeMello, a le mérite de bien illustrer le rôle clé joué par certaines femmes dans l’avancement de la cause animale, ainsi que des liens entre le mouvement féministe, le mouvement ouvrier et le mouvement animaliste. Et au-delà de ces questions, l’origine de ce mouvement demeure fort intéressante en soi. Il y a en effet ce fait paradoxal que le mouvement pour les droits des animaux a émergé autour de la question de l’expérimentation animale alors que de nos jours, on considère souvent qu’il s’agit de l’enjeu le plus difficile à aborder!

L’histoire du mouvement anti-vivisection (p. 183-185)
    Même si beaucoup se figurent que le mouvement pour la protection des droits des animaux est un phénomène très récent, en réalité il vit le jour dans l’Angleterre du XIXe siècle grâce à des groupes opposés à la vivisection. Le mouvement anti-vivisection se composait de féministes engagées dans la cause suffragiste en Angleterre (puis plus tard aux États-Unis), de leaders religieux pour qui la vivisection constituait un crime envers les créatures de Dieu, et d’humanistes s’objectant à la vivisection pour des raisons morales.*
    Parmi tous les groupes religieux qui exprimèrent leur opposition aux expériences pratiquées sur les animaux, le plus véhément fut la Société des Amis (quakers). Les quakers se distinguaient des autres groupes chrétiens par leur croyance en un au-delà et en un présent où les humains et les autres espèces peuvent vivre ensemble en paix. Ils croyaient en outre à l’égalité des hommes et des femmes sur le plan spirituel, et de fait les femmes étaient libres de prêcher aux côtés des hommes. Certains quakers, notamment Anna Sewell, dénoncèrent la cruauté inhérente à la vivisection. En 1877, Sewell écrivit Black Beauty, l’histoire d’un cheval qui subit énormément de cruauté au cours de son existence. Considéré par certains comme l’équivalent de La Case de l’oncle Tom pour la cause de la protection des animaux, Black Beauty exerça une très grande influence sur le mouvement anti-cruauté alors en plein essor en Angleterre. De plus, puisqu’il s’agissait nommément d’un livre destiné aux enfants, il servit à inculquer l’empathie envers les animaux chez un grand nombre de jeunes lecteurs.
    De leur côté, les suffragettes pouvaient elles aussi percevoir le caractère cruel de la vivisection, et nombre d’entre elles assimilèrent la victimisation des femmes aux mains des hommes à la manière dont les animaux étaient persécutés par les humains. À cette époque, ni les femmes, ni les animaux ne disposaient de droits, et de nombreuses féministes ne pouvaient manquer de constater les parallèles entre le traitement imposé aux femmes, qu’on attachait alors avec des sangles lors de l’accouchement et qu’on forçait à subir une hystérectomie, et celui infligé aux animaux. En 1875, la National Anti-Vivisection Society (Association nationale contre la vivisection), première association en son genre dans le monde, fut fondée par une femme, Frances Power Cobbe. Elle établit un autre groupe en 1898, la British Union for the Abolition of Vivisection (Union britannique pour l’abolition de la vivisection). Grâce aux activités déployées par Cobbe et d’autres opposants à la vivisection, l’Angleterre adopta en 1876 la première loi en matière de protection animale au monde, la Cruelty to Animals Act (Loi sur la cruauté envers les animaux), qui contrôlait l’utilisation d’animaux en vivisection. Cette loi exigeait que les expériences impliquant d’infliger de la douleur ne soient pratiquées que « lorsque les expériences proposées sont absolument nécessaires […] afin de sauver ou de prolonger une vie humaine » et que les animaux soient anesthésiés, utilisés dans le cadre d’une seule expérience, et tués une fois celle-ci terminée.
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L’humanisme comme arme de destruction massive

Patrice Rouget - La violence de l'humanisme

L’humanisme est, en un certain sens, le beau côté de la médaille du spécisme dans la mesure où il a contribué à avancer l’idée d’une valeur inhérente à tous les êtres humains, généralement sans condition. Après tout, l’humanisme cherche à expliquer ce qu’il y a de distinctif et d’honorable à propos de l’humanité. Mais il n’est pas sûr que cette philosophie n’ait que de beaux côtés.

D’une part, parce que l’humanisme est souvent fondé sur un idéal perfectionniste que les agents humains doivent s’efforcer d’atteindre. Car l’humanisme ne se contente pas de se référer aux humains, il cherche avant tout à les définir, à dire comment être humain. Cette rhétorique a ainsi souvent servi à rabaisser des groupes qui n’y répondaient pas adéquatement, comme les femmes, les enfants et les non-Occidentaux en général — qui se voyaient alors souvent traités d’animaux. Ce n’est pas pour rien qu’en français, on ait longtemps parlé des droits de l’Homme plutôt que des droits humains, comme si les hommes (blancs et hétérosexuels) étaient la mesure de l’humanité. De plus, ce ne sont pas seulement les groupes opprimés mais bien toute l’humanité qui souffre de ces idéaux perfectionnistes. En effet, plusieurs formes d’humanisme prônent un style de vie à mener, par exemple de se libérer du joug de ses passions et de vivre selon la raison. C’est ce qu’Isaiah Berlin a appelé la liberté positive, qui constitue cependant une fausse liberté dans la mesure où elle prive les individus de vivre la vie qu’ils et elles désirent. Plutôt que de libérer les humains en leur permettant d’explorer les possibles, l’humanisme les enferme bien souvent dans des modes de vie prédéfinis, où le titre d’humain doit alors se mériter en dépit de ce qu’en pensent les individus.

D’autre part, parce que l’humanisme destitue tout ce qui n’est pas humain. L’humanité devient une frontière morale infranchissable et, surtout, que l’on ne peut remettre en question. L’humanisme érige en principe fondateur le dogme de la suprématie humaine, comme si la seule façon de protéger les uns devait se traduire par l’oppression des autres. Lire la suite

Expérimentation animale à l’Université de Montréal: le cas Selye

Le Dr Hans Selye.

Le Dr Hans Selye avec l’un de ses sujets de recherche.

J’ai étudié à l’Université de Montréal pendant six ans, où j’ai complété le baccalauréat ainsi qu’une maîtrise en philosophie. Comme plusieurs de mes pairs, j’étais bien au courant de certains défauts de mon institution, entre autres parce que nous en discutions souvent durant la grève de 2012 (d’ailleurs, plusieurs de ces problèmes sont détaillés dans l’excellent essai de mon professeur Michel Seymour).

Pourtant, c’est seulement tout récemment que j’apprends que des recherches particulièrement cruelles et célèbres y ont été conduites pendant des années. Je sens donc à la fois un devoir et une dette de rapporter ces faits trop méconnus autour de moi, car je crois que critiquer une institution c’est aussi, parfois, l’inviter à s’améliorer. Mon université s’est rendue complice de graves injustices, et par cet étrange sentiment d’appartenance qui me relie à cette communauté, je me dois au moins d’informer les autres qui continuent de fréquenter cette institution.

Les expériences de feu Hans Selye portant sur la nature du stress, ses causes et ses effets ainsi que la prévention et le traitement des maladies liées au stress sont connues mondialement. […] Pourtant, les expériences menées sur une période de plus de 40 ans par Selye et son équipe de chercheurs à l’Université de Montréal, au sein de l’Institut de chirurgie et de médecine expérimentale (dont il fut directeur), ont fait l’objet de critiques virulentes. […]

L’usage d’animaux par Selye a en effet atteint des proportions sans précédent. Selon ses propres estimations, au cours d’une année normale, «nous utilisions environ 1 400 rats par semaine à des fins de recherche.» […]

S’il était toujours vivant, Selye devrait probablement admettre en toute candeur que ses expériences ont occasionné énormément de souffrance, puisqu’elles étaient conçues pour exposer les systèmes physiologiques des animaux à des tests comportant différents degrés d’intensité afin d’observer leurs réactions. […] Pour en apprendre davantage sur la nature et les mécanismes biologiques du stress, Selye a dû reproduire en laboratoire des conditions s’apparentant à des blessures ou traumatismes auxquels les être humains sont sujets et en créer d’autres qui soumettraient à des exigences mesurables le système physiologique d’animaux de laboratoire dont les propriétés en tant qu’organismes vivants étaient bien connues. Voilà pourquoi on ne peut éviter de conclure qu’au fil des années, Selye a causé énormément de souffrance chez ses sujets animaux.
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