L’humanisme comme arme de destruction massive

Patrice Rouget - La violence de l'humanisme

L’humanisme est, en un certain sens, le beau côté de la médaille du spécisme dans la mesure où il a contribué à avancer l’idée d’une valeur inhérente à tous les êtres humains, généralement sans condition. Après tout, l’humanisme cherche à expliquer ce qu’il y a de distinctif et d’honorable à propos de l’humanité. Mais il n’est pas sûr que cette philosophie n’ait que de beaux côtés.

D’une part, parce que l’humanisme est souvent fondé sur un idéal perfectionniste que les agents humains doivent s’efforcer d’atteindre. Car l’humanisme ne se contente pas de se référer aux humains, il cherche avant tout à les définir, à dire comment être humain. Cette rhétorique a ainsi souvent servi à rabaisser des groupes qui n’y répondaient pas adéquatement, comme les femmes, les enfants et les non-Occidentaux en général — qui se voyaient alors souvent traités d’animaux. Ce n’est pas pour rien qu’en français, on ait longtemps parlé des droits de l’Homme plutôt que des droits humains, comme si les hommes (blancs et hétérosexuels) étaient la mesure de l’humanité. De plus, ce ne sont pas seulement les groupes opprimés mais bien toute l’humanité qui souffre de ces idéaux perfectionnistes. En effet, plusieurs formes d’humanisme prônent un style de vie à mener, par exemple de se libérer du joug de ses passions et de vivre selon la raison. C’est ce qu’Isaiah Berlin a appelé la liberté positive, qui constitue cependant une fausse liberté dans la mesure où elle prive les individus de vivre la vie qu’ils et elles désirent. Plutôt que de libérer les humains en leur permettant d’explorer les possibles, l’humanisme les enferme bien souvent dans des modes de vie prédéfinis, où le titre d’humain doit alors se mériter en dépit de ce qu’en pensent les individus.

D’autre part, parce que l’humanisme destitue tout ce qui n’est pas humain. L’humanité devient une frontière morale infranchissable et, surtout, que l’on ne peut remettre en question. L’humanisme érige en principe fondateur le dogme de la suprématie humaine, comme si la seule façon de protéger les uns devait se traduire par l’oppression des autres. Lire la suite

Un argument antiperfectionniste pour la justice animale

Des oies sauvées d'un élevage de foie gras. © Jo-Anne McArthur

Des oies sauvées d’un élevage de foie gras. © Jo-Anne McArthur

On entend bien souvent des spécistes répéter que la vie des animaux a moins de valeur, car elle est moins complexe et moins riche. Leur vie mentale est moins développée, ils ont des plaisirs plus physiques et s’ils ont des projets, ceux-ci sont beaucoup moins significatifs et importants. Pourtant, comme je l’expliquerai, ces éléments n’ont aucune pertinence puisqu’ils reposent sur des valeurs perfectionnistes, un problème déjà décrié dans l’éthique humaine.

Quel est le mal d’être perfectionniste?

Être perfectionniste, en philosophie, ça n’implique pas tellement d’avoir une obsession pour faire les choses à la perfection (quoique…). Il s’agit plutôt de croire que certains modes de vie sont objectivement supérieurs à d’autres. En d’autres mots, une théorie perfectionniste cherche à répondre à la question « Qu’est-ce qu’une vie qui vaut la peine d’être vécue? ».

Lire la suite