Vers un monde végane (2): représenter les animaux

Harmut Kiewert, « Evolution of Revolution ».

Je fais partie d’un mouvement social qui milite pour l’égalité animale, ce qui implique l’abolition de l’exploitation des animaux et de toutes formes de domination à leur égard. Cet idéal parait bien utopique et absurde à la plupart de mes contemporains, et pourtant, ce mouvement continue de grandir mondialement. Arriverons-nous un jour à véganiser la société?

Pour répondre à cette question, je propose une série de billets portant sur le projet de créer un monde végane qui reconnaitrait les animaux en tant qu’égaux des humains. Quels sont les obstacles que nous pourrions rencontrer? Quelles seraient les transformations que nos sociétés devront opérer? De quoi aurait l’air une société végane et antispéciste? Est-ce seulement un projet réaliste? À raison d’environ un texte par mois, j’aborderai les thèmes suivants:

  1. la transition sociale
  2. la représentation artistique et politique
  3. les défis économiques
  4. le rapport à la nature
  5. la médecine
  6. les relations internationales et interculturelles.

Le mouvement antispéciste, s’il souhaite abolir l’exploitation animale et véganiser la société, devra changer notre manière même de voir les animaux et de les représenter sur la scène politique. Dans ce deuxième volet de la série, je discute ainsi de la représentation artistique ainsi que de quelques formes de représentations politiques institutionnalisées. J’ajoute ensuite que la représentation la plus essentielle demeure l’autoreprésentation, où l’on apprend à découvrir les animaux pour ce qu’ils sont réellement, avec toute leur individualité. Pour conclure, je parle du rôle prospectif et rétrospectif de l’éducation.

La représentation artistique

Puisque l’art est souvent à l’avant-garde des mouvements sociaux, qui dit représentation politique dit représentation artistique. La raison est simple: avant de défendre un groupe social au sein de débats politiques et sociaux, il faut d’abord pouvoir inclure ce groupe dans l’imaginaire collectif, c’est-à-dire pouvoir l’illustrer comme un objet digne de considération sociale. Et l’art, dans sa littérature, dans son théâtre ou dans sa forme plastique, se révèle particulièrement puissant pour pouvoir dénoncer des injustices et élargir notre univers moral. Il sait nous provoquer et nous faire percevoir des situations que nous n’osions contempler ou remarquer plus tôt.

Pour illustrer ce propos, voici une petite sélection d’oeuvres picturales dénonçant l’exploitation animale, et vous pouvez cliquer sur les images afin de découvrir d’autres oeuvres de ces artistes:

Sue Coe emprunte un angle très direct pour illustrer la violence commise envers les animaux.

Sue Coe adopte un angle très direct pour illustrer la violence commise envers les animaux.

Frédéric Back, le dessinateur de « L'homme qui plantait des arbres », était végétarien et défendait aussi la cause animale.

Frédéric Back, le dessinateur de « L’homme qui plantait des arbres », était végétarien et défendait aussi la cause animale.

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L’humanisme comme arme de destruction massive

Patrice Rouget - La violence de l'humanisme

L’humanisme est, en un certain sens, le beau côté de la médaille du spécisme dans la mesure où il a contribué à avancer l’idée d’une valeur inhérente à tous les êtres humains, généralement sans condition. Après tout, l’humanisme cherche à expliquer ce qu’il y a de distinctif et d’honorable à propos de l’humanité. Mais il n’est pas sûr que cette philosophie n’ait que de beaux côtés.

D’une part, parce que l’humanisme est souvent fondé sur un idéal perfectionniste que les agents humains doivent s’efforcer d’atteindre. Car l’humanisme ne se contente pas de se référer aux humains, il cherche avant tout à les définir, à dire comment être humain. Cette rhétorique a ainsi souvent servi à rabaisser des groupes qui n’y répondaient pas adéquatement, comme les femmes, les enfants et les non-Occidentaux en général — qui se voyaient alors souvent traités d’animaux. Ce n’est pas pour rien qu’en français, on ait longtemps parlé des droits de l’Homme plutôt que des droits humains, comme si les hommes (blancs et hétérosexuels) étaient la mesure de l’humanité. De plus, ce ne sont pas seulement les groupes opprimés mais bien toute l’humanité qui souffre de ces idéaux perfectionnistes. En effet, plusieurs formes d’humanisme prônent un style de vie à mener, par exemple de se libérer du joug de ses passions et de vivre selon la raison. C’est ce qu’Isaiah Berlin a appelé la liberté positive, qui constitue cependant une fausse liberté dans la mesure où elle prive les individus de vivre la vie qu’ils et elles désirent. Plutôt que de libérer les humains en leur permettant d’explorer les possibles, l’humanisme les enferme bien souvent dans des modes de vie prédéfinis, où le titre d’humain doit alors se mériter en dépit de ce qu’en pensent les individus.

D’autre part, parce que l’humanisme destitue tout ce qui n’est pas humain. L’humanité devient une frontière morale infranchissable et, surtout, que l’on ne peut remettre en question. L’humanisme érige en principe fondateur le dogme de la suprématie humaine, comme si la seule façon de protéger les uns devait se traduire par l’oppression des autres. Lire la suite