Qu’est-ce que la justice animale?

© Jo-Anne McArthur

© Jo-Anne McArthur

Nul besoin d’aimer les animaux pour les respecter

Je dis souvent que je ne suis pas un animal lover. Plusieurs sont surpris de l’entendre, mais je dois avouer que je le dis surtout pour l’effet rhétorique : pour souligner que défendre une cause n’implique pas nécessairement que l’on aime particulièrement les victimes en question. Il s’agit simplement de reconnaître que c’est injuste pour ces victimes — et comme la justice exige l’impartialité, le fait de ne pas aimer les victimes ou de ne pas être attendri par elles n’est pas en soi pertinent pour déterminer si elles méritent d’être respectées. Je cherche ainsi à faire prendre conscience aux gens que même s’ils ne s’intéressent pas à l’éthique animale, cela ne règle en rien le débat sur nos obligations morales à leur endroit.

(Cela dit, je ne dis pas que je suis indifférent au sort des animaux, bien au contraire : je me soucie d’eux, j’aime savoir qu’ils peuvent s’épanouir et je suis scandalisé de savoir qu’on ne les laisse pas vivre. Je me suis aussi attaché à de nombreux animaux au courant de ma vie.)

J’estime que les animaux doivent être intégrés dans nos théories de la justice — et non de manière périphérique, mais bien à part entière. J’endosse ce que l’on peut appeler la justice animale, à ne pas confondre avec l’éthique animale.

L’éthique animale est un champ disciplinaire (comme l’éthique environnementale, la bioéthique, etc.) où l’on aborde les questions morales au sujet de nos attitudes à l’égard des animaux non humains sensibles pris individuellement — une définition un peu technique, mais qui s’explique comme suit :

  1. On dit animaux « non humains » pour simplement rappeler que les humains aussi sont des animaux et que techniquement, le terme « animal » devrait inclure les humains (en même temps, je ne respecte pas toujours cette nuance de manière cohérente, mais l’essentiel est de le rappeler de temps en temps).
  2. On dit « sensibles » (ou « sentients », qui sont synonymes en français), car la majorité des auteurs en éthique animale estiment que la capacité à ressentir constitue un critère déterminant pour bénéficier d’un statut moral minimal.
  3. Et on dit « pris individuellement » pour insister sur le fait que ce sont les individus qui sont l’objet principal des préoccupations en éthique animale, alors que la considération envers les espèces relève plutôt de l’éthique environnementale. Ce sont les individus qui souffrent et qui ont une subjectivité. À noter que cela n’exclut pas nécessairement une considération morale pour les groupes en tant que tels.

Pour le répéter, ce n’est pas parce qu’on fait de l’éthique animale qu’on endosse le véganisme et les droits des animaux. Il existe une très grande variété de positions au sein de l’éthique animale — y compris des gens qui doutent que ce champ disciplinaire ait un sens en tant que tel.

Les piliers de la justice animale

Contrairement au mouvement du bien-être animal, la justice animale réclame une justice au sens fort et substantiel du terme : une justice qui est en continuité avec la justice humaine. La justice animale comprend donc l’engagement envers les principes suivants :

Antispécisme: Rejeter la discrimination envers les animaux. Autrement dit, il est spéciste de croire que parce qu’un individu n’est pas un humain, sa valeur morale est amoindrie. Qu’un individu puisse ressentir le monde du point de vue subjectif est tout ce qui compte pour qu’il soit intégré dans la communauté des égaux, ou pour que ses intérêts soient considérés en tant que tels. En ce sens, le spécisme est aussi arbitraire que le racisme ou le sexisme, car il s’agit à chaque fois d’une propriété dont l’individu n’est nullement responsable et qui ne devrait pas déterminer si un individu mérite une justice au sens fort du terme.

Égalité animale: Appliquer le principe d’égale considération des intérêts envers les animaux humains et non humains. Il s’agit de la continuité de l’antispécisme, mais à la nuance près que ce principe précise que ce n’est pas une égalité pleine que l’on revendique, mais une égalité en fonction des intérêts en question. De la même manière qu’il ne sert à rien de donner le droit à l’avortement à un homme ou qu’il n’est pas opportun de donner le droit de vote à un jeune enfant, il faut accorder aux animaux les droits qui correspondent à leurs intérêts propres et aux capacités qu’ils possèdent. Entre autres, ils doivent minimalement jouir du droit à ne pas souffrir, du droit à ne pas être tués et du droit de décider de leur vie — et ce, pour les mêmes raisons que l’on attribue ces droits aux êtres humains.

Abolition de l’exploitation animale: L’exploitation animale est injustifiable moralement étant donné qu’elle implique toujours de nombreuses souffrances, qu’elle conduit de manière quasi-absolue à la mort prématurée intentionnelle et qu’elle constitue une violation de la liberté. Dans cette exploitation, les animaux ne sont pas considérés comme des acteurs ou des travailleurs, mais bien comme des objets et des machines, et leurs intérêts les plus fondamentaux sont systématiquement subordonnés à l’intérêt humain à faire du profit ou à rechercher du plaisir. Du moins en ce qui concerne la nourriture, l’habillement et le divertissement, il n’est nullement nécessaire d’exploiter les animaux pour pouvoir s’épanouir en tant qu’êtres humains.

Pour ces raisons, les partisans de la justice animale revendiquent que les animaux non humains sont des sujets de justice, c’est-à-dire qu’ils doivent être considérés comme des égaux et qu’ils doivent bénéficier des mêmes principes de justice que nous employons dans la sphère morale et politique humaine, toutes choses égales par ailleurs.

La justice animale avance également qu’une approche individualiste n’est pas suffisante. Pour véritablement inclure les animaux comme des sujets de justice, il faut plutôt employer une approche institutionnelle, collective, systémique. Il en va de la responsabilité de nos sociétés d’intégrer les animaux non humains comme des égaux dans la communauté morale; ce n’est pas une question de choix personnel ni un fardeau qui ne doit reposer que sur les épaules des individus ! Il faut plutôt, en tant que collectivités, adopter des solutions globales et non discriminatoires, et sans perdre de vue les individus qui en bénéficieront, bien évidemment. En d’autres mots, la justice animale propose d’être traitée comme les autres enjeux de justice sociale, car il s’agit précisément, en réalité, d’un enjeu de justice sociale.

Bien que la justice animale endosse ces valeurs, cela ne signifie pas qu’elle soit monolithique. Au contraire, il existe une multitude d’approches qui, à partir de ces prémisses, construisent différentes théories de la justice animale. Par exemple, dans un prochain billet, je présenterai deux courants majeurs qui s’opposent malgré une convergence sur ces principes de base : d’un côté, l’approche abolitionniste qui milite pour l’abolition totale de toutes les relations avec les animaux non humains (défendue par Gary Francione), et d’un autre côté, l’approche de la citoyenneté qui veut reconnaître aux animaux domestiqués le statut de citoyens à part entière, ce qui abolit tout de même l’exploitation mais non la possibilité de coopération (défendue par Sue Donaldson et Will Kymlicka).

p.s.: Si vous trouvez toutes ces idées loufoques, je vous prie de continuer à me suivre, car je compte expliquer plus en détail les différents principes et arguments que j’ai évoqués ici. Je suis bien conscient que tout cela puisse paraître radical et absurde et c’est pourquoi je tiens à vulgariser la chose.

Un avis sur « Qu’est-ce que la justice animale? »

  1. Ping : Abolition de l’exploitation ou abolition de la domestication? | Frédéric Côté-Boudreau

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