Vers un monde végane (1): faciliter la transition sociale

Je fais partie d’un mouvement social qui milite pour l’égalité animale, ce qui implique l’abolition de l’exploitation des animaux et de toutes formes de domination à leur égard. Cet idéal parait bien utopique et absurde à la plupart de mes contemporains, et pourtant, ce mouvement continue de grandir mondialement. Arriverons-nous un jour à véganiser la société?

J’entame donc une série de billets portant sur le projet de créer un monde végane qui reconnaitrait les animaux en tant qu’égaux des humains. Quels sont les obstacles que nous pourrions rencontrer? Quelles seraient les transformations que nos sociétés devront opérer? De quoi aurait l’air une société végane et antispéciste? Est-ce seulement un projet réaliste? À raison d’environ un texte par mois, j’aborderai les thèmes suivants:

  1. la transition sociale
  2. la représentation artistique et politique
  3. les défis économiques
  4. le rapport à la nature
  5. la médecine
  6. les relations internationales et interculturelles.

Pour commencer, et sans prétendre à l’exhaustivité, je lance ici quelques idées de base qui faciliteraient la transition sociale vers le véganisme. J’explique premièrement que la taille d’un mouvement n’est pas en soi un obstacle au succès politique de celui-ci; deuxièmement, je soutiens qu’un mouvement végane fort, bien qu’insuffisant, est important si l’on veut abolir l’exploitation animale; troisièmement, j’énumère des façons de diversifier le véganisme et je rappelle la nécessité d’inclure différents groupes sociaux; et enfin, j’aborde la question difficile de la résistance à la véganisation de la société.

Le nombre ne fait pas la force (du moins au début)

Qu’on me comprenne bien: je ne prétends aucunement que le projet d’abolir l’exploitation animale soit déjà gagné. De toute façon, je ne crois tout simplement pas au déterminisme historique. Au contraire, je pense que tous les acquis sociaux et politiques peuvent s’effondrer très facilement, à la moindre instabilité politique ou économique. S’il y a bien une chose que l’Histoire nous enseigne, c’est qu’il ne faut jamais tenir nos droits pour acquis. Et comme les animaux non humains représentent sans doute la classe sociale la plus vulnérable d’entre toutes, étant incapables de s’organiser pour résister ni de témoigner en notre langage des injustices qu’ils subissent, leur situation est condamnée à demeurer particulièrement précaire.

En revanche, il n’y a pas de raison de se priver de rêver, car l’égalité animale demeure un projet possible et réalisable, d’autant plus qu’il est solidement appuyé par de nombreux arguments moraux. Qui plus est, il semble actuellement prendre de l’ampleur. À l’ère d’Internet et des réseaux sociaux, les véganes isolés peuvent mieux communiquer et s’allier, l’information circule beaucoup plus facilement (incluant des tonnes de recettes et d’informations nutritionnelles au bout de quelques clics), les débats s’activent un peu partout et les organisations de défense animale s’organisent de mieux en mieux et se font entendre de manière encore plus grande.

Il ne faut pas oublier qu’historiquement, les mouvements sociaux ont souvent commencé de manière modeste. Comme l’aurait dit Margaret Mead, « ne doutez jamais qu’un petit groupe de citoyens réfléchis et déterminés puisse changer le monde; en effet, c’est la seule chose qui y est jamais parvenu. » (traduction libre) Par exemple, le mouvement pour l’abolition de l’esclavage a commencé de manière marginale et ne représentait pendant quelque temps, du moins aux États-Unis, qu’une faible minorité très peu prise au sérieux. Mais leurs idées ont fait leur chemin au fil des actions politiques et des contingences historiques. Par ailleurs, bien que discutable, une étude de psychologie sociale suggère qu’il suffit d’un seuil de 10 % de gens fermement convaincus à une nouvelle idée pour que celle-ci se répande dans le reste du groupe. Il existe évidemment de nombreux contre-exemples à cette hypothèse, et il est encore moins sûr qu’elle soit applicable à l’ensemble d’une société, mais n’empêche qu’il suffit de se rappeler que le pourcentage d’adhérents à une philosophie (et inversement, le nombre de gens qui y résistent) ne détermine pas si celle-ci pourra prendre de l’ampleur en tant que mouvement social. En un mot, la progression peut devenir exponentielle, et la clé se retrouve dans la détermination, l’organisation et l’action de ce groupe. L’Histoire nous appartient, et pour que ce mouvement réussisse, il faudra trouver des manières originales pour diffuser nos idées et toucher le coeur et l’esprit de la population générale.

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Comment pouvons-nous réduire la souffrance animale?

© Jo-Anne McArthur

© Jo-Anne McArthur

Il n’existe pas, à ma connaissance, de bonne justification à l’exploitation animale dans nos sociétés modernes. Les animaux non humains sont, comme nous, des êtres ayant leur propre vie psychologique et émotionnelle, leur propre personnalité; ils ont leurs préférences et leurs projets, de sorte que les exploiter, même de manière non souffrante (si une telle chose est possible), revient à les empêcher de vivre leur vie et à les traiter comme des ressources. Nous avons aussi la possibilité de bâtir des sociétés saines sans exploitation animale: nous avons la capacité de vivre d’une alimentation entièrement végétale, de nous vêtir autrement qu’avec des peaux d’animaux et de trouver d’autres formes de divertissement qui n’impliquent pas l’assujettissement de personnes vulnérables. En bref, nous devrions abolir l’exploitation animale et revendiquer la justice pour les animaux.

Personne ne se fait d’illusions: cette abolition ne surviendra pas du jour au lendemain. Elle n’en demeure pas moins souhaitable et nous devons militer dès maintenant pour son avènement. D’ailleurs, d’importantes discussions ont lieu dans le mouvement pour déterminer quelles sont les meilleures stratégies à cet effet. Mais en attendant, que faisons-nous des animaux existants qui se voient mutilés, martyrisés et tués dans les élevages? Ceux-ci ne méritent pas leur sort, mais nous ne pouvons pas les libérer de manière massive: non seulement ce serait impossible sur le plan logistique, mais les producteurs auraient tôt fait de faire naître une nouvelle génération d’animaux d’élevage qui subiront exactement le même sort. Les animaux continueront donc de souffrir tant qu’il y aura une demande pour leur exploitation et que les lois le permettront. Si nous avons nous-mêmes cessé de participer à leur exploitation, que pouvons-nous faire d’autre pour eux?

Je propose dans cet article une revue sommaire des deux principales familles de stratégies pour réduire la souffrance animale. D’autres sont possibles, mais je m’en tiendrai au débat le plus commun en dégageant les avantages et désavantages de chaque approche. En d’autres mots, cette présentation se veut à la fois critique et non critique: critique, car j’en profiterai pour soulever les problèmes posés par les différentes approches, et non critique dans la mesure où je ne trancherai pas en faveur de l’une ou de l’autre. Au risque de m’attirer les foudres des partisans des deux camps, je préfère encore suspendre mon jugement, car j’estime que la réponse est essentiellement empirique et que notre appréciation demeure pour l’instant spéculative et biaisée. J’ai moi-même mes méthodes de prédilection et mes inconforts quant à certaines stratégies, mais je choisis de ne plus mettre de bâtons dans les roues de ceux et celles qui militent d’une manière différente de la mienne. En attendant, je crois que nous avons tous intérêt à discuter de manière constructive de ces stratégies afin d’élargir notre répertoire et d’être conscients de nos limites. C’est aussi dans l’intérêt des animaux. Lire la suite

W comme dans Welfarisme

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Il y a quelques semaines, j’ai été invité à contribuer au forum Vive les sociétés modernes — Abécédaire en y soumettant une entrée sur le welfarisme. Mon texte est disponible depuis le 10 octobre. Je reproduis ici l’intégralité du texte, mais vous êtes invités à lire le texte sur la page originale, à prendre connaissance des commentaires et à participer si cela vous intéresse.

W comme Welfarisme (en éthique animale)

Le mouvement de défense animale est généralement caractérisé par deux courants majeurs. D’un côté, il existe le mouvement welfariste (de l’anglais welfare qui signifie « bien-être ») qui œuvre à améliorer la qualité de vie des animaux exploités, mais sans remettre en question leur exploitation. De l’autre côté se retrouvent des théories des droits des animaux, entendues comme réclamant des droits fondamentaux et l’abolition de l’exploitation animale. Dans ce court texte, je propose de présenter les grandes lignes du welfarisme ainsi que certaines critiques qui lui sont adressées par les partisans des droits des animaux.

D’emblée, je ne crois pas que plusieurs soient contre la vertu. Je tiens pour acquis qu’il existe un consensus social sur l’idée qu’il ne faut pas faire souffrir inutilement les animaux. Même si certains psychopathes pensent le contraire, au moins, personne ne revendique que l’on pourrait faire encore plus mal aux animaux ou que planter des clous dans la tête d’un chien soit banal, par exemple. On peut certes considérer qu’il y a des causes plus importantes, mais pour le moment, essayons seulement d’analyser la question en soi.

Le problème est que ce consensus social n’est pas traduit dans les faits. De nos jours, les animaux d’élevage sont soumis à de nombreuses pratiques et conditions d’élevage souffrantes vouées à améliorer la productivité, telles que : mutilations sans anesthésie, cloisonnement extrême où les individus captifs peuvent à peine bouger, chaos social, séparation prématurée des mères et des enfants, stress périodique, obésité extrême, etc., et ce, sans oublier la mise à mort planifiée. C’est ce qu’on appelle l’élevage industriel. Et c’est la norme.

Le welfarisme s’inscrit comme une critique de l’élevage industriel qui domine le paysage agricole. En guise de solution, les welfaristes font la promotion d’élevages à petite échelle où les animaux seraient élevés humainement (attention à ne pas confondre avec l’élevage biologique et local : ceux-ci n’incluent pas nécessairement une amélioration du bien-être animal). Ils veulent que les animaux aient joui d’une belle vie avant qu’ils ne soient tués pour devenir de la viande ou qu’ils nous aient donné du lait et des œufs sans souffrir. Le problème se situe alors dans la manière de les élever. Lire la suite