Que signifie le bien-être animal?

ferme fisher priceOn entend parler d’élevage éthique, de viande heureuse, de bien-être animal, de tuer avec respect : une panoplie d’expressions généralement utilisées de manière interchangeable et qui ont malheureusement perdu leur sens. En effet, le problème est que le sens de ces mots se voit à la fois approprié par ceux-là même qui exploitent les animaux, et à la fois dilué dans le discours populaire, celui-ci étant fortement marqué par l’idéologie dominante qu’est le spécisme.

Le spécisme représente la discrimination envers les animaux (autrement dit, faite sur la base de l’appartenance à l’espèce animale). Par exemple, un spéciste affirmera que parce que les animaux ne sont pas humains, ils peuvent être soumis à des règles morales beaucoup moins rigides; un spéciste pensera aussi que certaines espèces animales, comme les chats et les chiens, ne possèdent pas le même statut moral que d’autres espèces, comme les rats, les cochons ou les poissons.

Le mouvement du bien-être animal est ainsi caractérisé par le spécisme, ce qui a pour conséquence que les différents termes employés n’ont pas le sens qu’on pourrait leur prêter dans un contexte humain. Voici quelques exemples.

Le bien-être animal et ses déclinaisons

Le bien-être animal

Le mouvement du bien-être animal (ou réformisme, et en anglais « welfarisme ») consiste à réduire la souffrance infligée aux animaux domestiqués, mais sans remettre en question l’exploitation animale en tant que telle. En d’autres mots, les partisans du bien-être animal ne voient pas de problèmes à utiliser les animaux comme des ressources pour servir n’importe quel désir humain, à condition de ne pas leur causer « trop » de souffrance. En général, ils ne voient pas la domination, la perte d’opportunités et la mise à mort comme des problèmes moraux, pour autant que la souffrance soit minimisée. Pourtant, dans un contexte humain, s’intéresser au bien-être d’une personne serait incompatible avec le fait de la tuer ou de l’enfermer, et à plus forte raison si on prétendait le faire pour son bien.

Élevés humainement

On parle d’élevage « humain » ou d’animaux élevés « humainement » pour traduire le mot « humane » qui est beaucoup plus courant et univoque en anglais. On entend par là ce qui en appelle aux plus belles qualités humaines comme la compassion, la gentillesse, la miséricorde et le respect. Encore une fois, ces formes d’élevage sont censées assurer un bien-être maximimal aux animaux, leur offrir un environnement naturel et ne pas utiliser de méthodes d’élevage industriel (ou intensif).

Il est vrai que faire souffrir le moins possible une personne est un acte de compassion, mais il est plus difficile d’expliquer en quoi tuer un animal pour satisfaire notre plaisir gustatif, et d’autant plus lorsque cet animal est en bonne santé, puisse être compassionnel. Il s’agit tout simplement d’un meurtre gratuit qui ne vise qu’à satisfaire un intérêt égoïste et non à veiller au respect d’autrui. Loin d’en appeler aux meilleures qualités humaines, l’exploitation animale sous toutes ses formes représente plutôt l’égoïsme et la gloutonnerie lorsqu’elle est placée devant le fait que nous n’avons pas besoin de commettre cette exploitation et ces meurtres pour vivre des vies humaines épanouies. Qui se veut humain ne va pas commettre de la violence sans nécessité, et ce, même si cette violence est commise de la manière la plus douce possible (ce qui me semble un bien triste oxymore).

Viande heureuse (ou « happy meat »)

Techniquement, une viande ne peut pas être heureuse; il s’agit plutôt d’une figure de style pour parler de la viande d’un animal qui aurait vécu une vie heureuse, une vie naturelle. Supposons que cela existe (et j’ai de sérieux doutes qu’il en existe, ou à tout le moins, que ce soit aussi fréquent que les éleveurs le prétendent). En quoi est-ce justifié d’en consommer? Si le bonheur est une chose souhaitable, ne devrions-nous pas le laisser perdurer plutôt que d’y mettre fin? Et fait-on le bonheur des animaux en les tuant alors qu‘ils étaient heureux? À la limite, on peut comprendre pourquoi on puisse mettre fin aux jours d’une personne vivant une vie remplie de malheur et n’ayant aucun espoir d’améliorer son sort. Il semble difficilement compréhensible, par contraste, de parler d’éthique ou de bonheur si on enlève ce qu’il y a de plus précieux pour cette personne.

Tuer avec respect

Cette expression est utilisée pour décrire les formes d’abattage qui impliquent le moins de souffrance possible. Cela me parait pourtant étrange de parler de respect sans faire référence au contexte (i.e. quelle est la nécessité?) et aux intentions (i.e. le fait-on pour le bien de la personne en question?). Respecter quelqu’un signifie de considérer ses intérêts et de veiller à son bien, et non de lui faire du mal en essayant de le faire le plus gentiment possible. Pour cette raison, le seul contexte où l’on peut tuer quelqu’un avec respect serait l’euthanasie véritable, c’est-à-dire lorsque la personne est atteinte d’une maladie irréversible, dégénératrice et qui cause une quantité insupportable de souffrance. Pour le reste, on ne peut pas tuer avec respect quelqu’un qui est en santé ou qui est temporairement malade. Je ne sais pas pour vous, mais pour ma part, je n’ai pas tant envie de bénéficier d’un tel type de respect — et les animaux n’en veulent pas plus.

Mieux ne signifie pas bien

C’est ainsi que le bien-être animal et ses déclinaisons prennent leur sens lorsque l’on constate qu’ils sont spécistes et qu’ils prennent pour acquis que l’on peut utiliser des animaux non humains pour satisfaire n’importe quelle finalité humaine. À l’intérieur de ce cadre particulier, il semble effectivement humain de faire souffrir le moins possible les animaux, d’encourager la production de viande « heureuse » et de tuer avec « respect ». Dans tous les cas, il s’agit pourtant de pratiques qui seraient considérées absolument horribles si elles étaient appliquées à des êtres humains (ou encore, si elles étaient appliquées à des animaux de compagnie comme des chats ou des chiens!) : elles seraient en fait complètement inhumaines, irrespectueuses et nieraient l’épanouissement même des victimes. Prétendre que ce soit éthique ne fait qu’ajouter de l’insulte à l’injure.

Le mouvement du bien-être animal a donc une vision très étroite puisqu’il déforme complètement le sens originel de ces mots en les appliquant à des individus ne faisant pas partie de l’espèce privilégiée. De ce fait, il ne fait pas non plus preuve de ces importantes qualités humaines que sont l’impartialité et la recherche de la justice, ou encore la compassion véritable.

Cette idéologie ne propose pas, sinon que de manière accessoire, que le véganisme soit une solution et encore moins qu’il faille abolir l’exploitation animale. Elle tient pour acquis que les animaux sont à notre service, et en ce sens, les exploiter de manière plus douce est préférable que de le faire avec les méthodes standard de l’élevage industriel. Mais il s’agit d’un faux dilemme, car au-delà de la question de comment élever les animaux, il y a la question de savoir si on doit les exploiter.

Certes, ce mouvement est mu par de bonnes intentions, et je ne voudrais surtout pas insinuer que les personnes revendiquant ces idées sont méchantes. Dans leur esprit, elles encouragent quelque chose de noble et de progressiste, si on compare leurs efforts à la norme de ce que subissent les animaux actuellement dans le monde. Or, c’est précisément parce que ces personnes sont convaincues de faire le bien que je crois qu’il faut leur expliquer les contradictions de leur démarche (car il n’y a aucun sens à parler de la compassion et de tuer dans le respect si ce n’est pas nécessaire!) et les encourager à endosser le véganisme. Parce que ces personnes progressent déjà en faveur d’un meilleur traitement des animaux, il faut établir un dialogue pour leur faire comprendre qu’elles peuvent faire mieux si elles croient vraiment au bien-être animal, c’est-à-dire un bien-être qui ne serait pas subordonné aux caprices humains. Elles pensent déjà faire mieux que l’élevage industriel, mais mieux ne signifie pas bien, surtout lorsqu’on peut faire radicalement mieux. Elles croient déjà que les animaux méritent un bien-être et sont dignes de compassion : il faut alors encourager ces personnes à appliquer ces termes de manière complète et cohérente.

J’ai l’intention d’écrire davantage au sujet des problèmes moraux théoriques et aux problèmes pratiques liés au mouvement du bien-être animal, qui n’en est pas à une contradiction ou à une manipulation près. Par exemple, dans les faits, en général, les animaux d’élevages « humains » continuent de souffrir de manière considérable, comme on peut le voir par exemple sur le site américain The Humane Myth. Même lorsque cet élevage humain entraîne une amélioration des conditions d’élevage, il ne montre jamais l’autre côté de la médaille, où les animaux continuent de souffrir de manière atroce. En un sens, loin de rendre service à la cause animale, le mouvement du bien-être animal ne fait que perpétuer la domination humaine, en plus de lustrer la réalité de l’exploitation animale.


Voir aussi ces deux articles de James McWilliams:

7 avis sur « Que signifie le bien-être animal? »

  1. Ping : Qu’est-ce que la justice animale? | Frédéric Côté-Boudreau

  2. Bonjour,
    Après avoir lu votre analyse sur le bien être animal, je m’interroge, connaissant le comportement des humains face à une espèce vivante qui ne lui sert a rien! Pensez vous qu’il serait plus normal qu’en tant que défendeur du bien être animal je cherche a rendre les vaches, les chevaux, les chiens, les chats ….. inutile aux humains? sera t il plus normale qu’en tant que défenseur du bien être animal, je préfère voir une espèce vivante et sensible s’éteindre pour éviter que ses individus soient au service des humains?

    • Bonjour,

      Même si les gens ont tendance à voir les animaux comme étant inutiles, je crois qu’il y a de la place pour les encourager à voir ça autrement. Ou plutôt, à cesser de juger les autres en fonction de leur utilité, et plutôt à les voir d’abord comme des êtres qui ont leur propre vie et leur propre valeur pour eux-mêmes.

      Quant à la question de l’extinction des espèces domestiquées, il y a en effet un débat à ce sujet. Plusieurs défendent une approche abolitionniste-extinctionniste qui estime qu’à terme, on devrait cesser toutes les relations avec les animaux domestiques, en mettant fin à ces espèces. D’autres s’y opposent en proposant que l’on puisse inclure les animaux en tant qu’égaux au sein de nos communautés. Je compte bientôt couvrir ce débat un peu plus en profondeur dans un prochain billet.

      Merci de votre intervention, j’espère que ma réponse a été un tant soit peu utile!

  3. Les animaux devraient être traités de la même façon que les humains……pourquoi créer tant de barrières entre nous?…nous sommes simplement égaux sur cette planète…

  4. Ping : Abolition de l’exploitation ou abolition de la domestication? | Frédéric Côté-Boudreau

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  6. Ping : Peut-on (et doit-on) inclure les animaux dans la philosophie politique? | Frédéric Côté-Boudreau

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