Peut-on (et doit-on) inclure les animaux dans la philosophie politique?

cochrane - an introduction to animals and political theory

Ci-haut, un excellent ouvrage d’introduction à la philosophie politique sur la question animale. Le livre couvre l’utilitarisme, le libéralisme, le communautarisme, le marxisme et le féminisme et leur lien avec l’éthique animale. La seule chose qui lui manque est de discuter des récents développements en philosophie politique animale. (Publié en 2010 par Alasdair Cochrane, 167 pages.)


L’éthique animale est un sujet politique

Si vous ouvrez n’importe quel livre d’introduction à la philosophie politique, vous n’y trouverez aucune mention au sujet des animaux non humains. Virtuellement tous les philosophes politiques, à quelques exceptions près, estiment que nos relations avec les animaux ne représentent pas un sujet politique. Ils en sont convaincus à un point tel que la plupart du temps, ils ne se sentent même pas le devoir de justifier pourquoi ils rejettent la question (à l’exception de Rawls, Scanlon et Hume, entre autres). L’humain est un animal politique, a dit Aristote. Seuls les humains font de la politique, alors la politique ne concerne que les humains. Nous essayons d’établir des règles pour notre fonctionnement en société, et les animaux n’ont rien à voir là-dedans.

Heureusement, cette conception est en train d’être remise en question par de nombreux auteurs (voir par exemple « Do We Need a Political Theory of Animal Rights? » de Donaldson et Kymlicka, ainsi que les ouvrages dont je parle plus bas). Je vais présenter ici quelques raisons qui motivent l’inclusion des animaux dans la philosophie politique, au sein des différentes théories de la justice.

1. Co-habitation

La philosophie politique s’intéresse aux problèmes du vivre-ensemble. Or, même si on n’a pas tendance à en prendre conscience, les animaux domestiqués vivent avec nous, par définition. La preuve en est que nous contrôlons tous les aspects de leur vie — que ce soit leur espace, leurs activités et même leurs interactions. Ils sont déjà parmi nous et nous interagissons constamment avec eux (du moins avec certains d’entre eux, car les animaux de ferme et de laboratoire, par exemple, sont invisibles pour la plupart d’entre nous — mais ils demeurent dans nos sociétés du fait que des humains interagissent avec eux). Il s’agit d’ailleurs de l’étymologie du mot domestiqué, qui signifie « relatif à la maison » (du grec domus, maison). Évidemment, on peut parler de domestication des plantes, mais lorsqu’il s’agit des animaux, on parle précisément d’interaction, de reconnaissance mutuelle (nous faisons partie de l’environnement social des animaux domestiqués tout comme ils font partie du nôtre), de vivre-ensemble.

2. Contribution

La raison pour laquelle les animaux domestiqués vivent parmi nous est qu’ils contribuent à nos sociétés. Il n’y aurait en effet aucun but à exploiter les animaux si ceux-ci ne pouvaient nous apporter quelconque bénéfice. Et c’est pourtant ce qui s’est produit et continue de se produire: la domestication animale est allée de pair avec l’évolution des sociétés humaines, au point tel que nous ne serions pas ce que nous sommes si nous n’avions pas utilisé les animaux. Ils ont labouré nos champs avec nous, ils nous ont aidés à nous déplacer, ils nous ont fourni de la nourriture, ils nous ont apporté de la compagnie, ils nous ont aidés à chasser. Comme on peut le voir, dans la quasi-totalité du temps, cette contribution fut forcée et violente. Les animaux ont payé le gros prix de notre évolution, avec leur sang, avec leurs cris, avec leur mort — de la même manière que nos société ont évolué en confinant les femmes à des rôles prédestinés, en exploitant des esclaves ou des prisonniers de guerre, en pillant les ressources des voisins, en conquérant les peuples moins forts, en faisant travailler les enfants et les plus pauvres et en abandonnant les êtres les plus vulnérables. Encore aujourd’hui, si autant d’humains choisissent de partager leur vie avec des animaux de compagnie, c’est bien parce qu’ils considèrent que ceux-ci enrichissent leur quotidien.

Les sceptiques répondront que le travail des animaux n’a pas de signification politique. D’un côté, il n’est pas intentionnel, et d’un autre côté, si toute contribution compte, alors on devrait aussi compter la contribution des êtres insensibles (comme les plantes, l’eau, les minéraux, le Soleil), ce qui serait absurde. Ce ne seraient donc pas toutes les « contributions » qui exigent des devoirs de justice en retour.

Or, la contribution n’a pas besoin d’être volontaire pour être reconnue comme un problème politique (sans quoi, on ne pourrait reconnaître l’injustice derrière l’esclavagisme). Ensuite, il arrive que les animaux puissent intentionnellement travailler avec nous — on s’en aperçoit, du moins, lorsqu’ils refusent de travailler! Enfin, l’animal ne contribue pas dans le même sens qu’un arbre, mais bien dans le même sens qu’un humain: il a fourni des efforts physiques et parfois cognitifs à accomplir une tâche; et bien souvent, en sachant qu’il aurait une récompense à la fin. Les animaux ont sué pour nous. Et nous ne leur devons rien en échange?

La question de savoir si faire travailler les animaux peut être justifié sous certaines conditions (comme j’en ai brièvement parlé ici et qui mériterait d’être approfondi) est indépendante du fait de reconnaître que les animaux contribuent déjà à nos sociétés. En attendant, du fait que les animaux ont autant contribué à façonner nos sociétés, on se doit de se demander quels devoirs politiques nous avons à leur égard. En effet, plusieurs théories de la justice estiment que lorsqu’une personne contribue à une société, elle acquiert certains droits, à tout le moins le droit de faire partie de cette société et de recevoir des bénéfices justes en retour.

3. Une question de contraintes publiques, et non de morale privée

Même si on prend au sérieux nos rapports avec les animaux non humains, on a tendance à les reléguer à la philosophie morale. On dit par exemple qu’il est mal de faire souffrir un animal ou de le tuer, mais qu’est-ce que cela devrait impliquer? Est-ce que ça relève simplement de choix personnels? Ou avons-nous la légitimité de contraindre les autres de respecter ces devoirs moraux?

La philosophie politique s’intéresse moins aux devoirs particuliers qu’aux devoirs des institutions. Il s’agit de déterminer quelles sont les contraintes légitimes que la société peut imposer à ses membres, notamment par le biais de ses lois. Or, notre société reconnait déjà que nous avons au moins certains devoirs politiques envers les animaux: la preuve en est qu’il existe déjà des lois contre la cruauté à l’égard des animaux. Celles-ci demeurent très incohérentes, insuffisantes et mal appliquées, mais elles suffisent à illustrer que les animaux peuvent être des bénéficiaires directs de nos lois. Si on refuse d’admettre l’éthique animale en philosophie politique, alors c’est la légitimité de ces lois qui est remise en question.

En restant confinée à la philosophie morale, l’éthique animale risque de ne devenir qu’une question de vertu personnelle. Au contraire, il faut pouvoir démontrer que ces devoirs moraux peuvent être traduits en responsabilité collective qui s’impose à tous. Pour illustrer cette distinction, on peut se rappeler qu’il peut être mal de mentir, mais qu’il n’y a pas de lois qui nous obligent à ne pas mentir à nos amis — ce serait de l’abus de pouvoir de nous obliger à être parfaitement moraux dans nos vies personnelles! Ce ne sont donc pas tous les devoirs moraux qui doivent être politiques et se transposer dans notre ordre légal. Nos obligations envers les animaux, je l’espère, sont pourtant bel et bien d’ordre politique et collectif, notamment parce qu’elles concernent des intérêts fondamentaux de ces individus. Il y a certes des différends quant à spécifier nos obligations précises, mais la vaste majorité d’entre nous reconnaissons la légitimité de l’État à empêcher certains actes envers les animaux. C’est donc le travail du philosophe politique de trancher la limite entre la liberté humaine et le respect des animaux.

4. Les cas marginaux sont des sujets de justice

En philosophie politique, de nombreuses théories avancent que leurs principes ne concernent que des individus étant dotés d’un sens de la justice et étant capables de négocier ensemble des règles de société. La justice est ainsi comprise comme un accord entre ces individus et, par extension, ne s’appliquerait qu’à eux.

Le phénomène étrange derrière ce raisonnement, et qui a été dénoncé depuis longtemps par les spécialistes d’éthique animale ainsi que par les théoriciens de la déficience, est qu’il ne cadre pas bien avec nos pratiques politiques. En effet, ces théories ont de la difficulté à expliquer pourquoi ce qu’on appelle les cas marginaux, c’est-à-dire les enfants, les personnes qui ont de sévères déficiences intellectuelles et les personnes âgées séniles, peuvent être des sujets de justice. Ces cas marginaux (ou plutôt, ces cas marginalisés) ne peuvent débattre de politique, ne possèdent pas de sens de la justice et ne peuvent changer leur comportement à la lumière de délibération morale. Or, virtuellement personne ne met en doute leur inclusions dans les théories de la justice — ce qui est d’autant plus flagrant lorsqu’on voit les efforts investis (sans doute insuffisants, je l’entends) par nos sociétés pour protéger ces personnes vulnérables.

On s’aperçoit assez rapidement que la philosophie politique a tendance à idéaliser les sujets compris dans les théories de la justice. Cela a une valeur heuristique importante dans la mesure où cette idéalisation peut servir de critère d’impartialité, mais je vois mal sa justification quant à déterminer qui peut bénéficier de la justice. Il ne faut pas confondre la question de savoir d’où proviennent ces règles avec celle de déterminer à qui ces règles s’appliquent.

À ce moment, si on estime que nos relations avec les cas marginaux peuvent être l’objet de la philosophie politique, sur quelle base pouvons-nous exclure les animaux? Comme on l’a vu, on ne peut le faire sous prétexte qu’ils ne font pas partie de nos sociétés, car au moins certains en font partie (et même si ce n’était pas le cas, cela ne changerait rien, comme je l’explique au point suivant). Si c’est fait sous prétexte que les animaux ne sont pas des humains, alors il s’agit de spécisme, et le philosophe politique devra au moins expliquer pourquoi il est juste que nos institutions soient spécistes.

5. L’impact direct et l’impact collatéral

Exclure les animaux de la philosophie politique n’est pas innocent. L’absence de lois, comme on l’a vu au troisième point, a un impact sur les animaux. Après tout, ne pas interdire implique d’autoriser. Nos institutions tolèrent donc, pour l’instant, que les plus grandes violences soient commises envers les animaux. Pourquoi le philosophe politique ne devrait-il pas se pencher sur le fait que sa théorie permette de telles choses?

Ensuite, même des lois ou des projets qui n’impliquent pas directement des animaux peuvent avoir un effet sur eux. Il suffit de penser, par exemple, à l’exploitation des ressources naturelles ou à toute forme de pollution, qui ont toujours un impact considérable sur les animaux sauvages. Que ces animaux ne fassent pas partie de notre société (comme je l’ai soulevé au premier point) n’est pas pertinent si on considère que nos sociétés ont également des responsabilités politiques envers les étrangers et les citoyens d’autres pays, voire envers les ermites reclus de toute société.

Si la philosophie politique doit s’intéresser aux conséquences de ses pratiques, y compris des conséquences envers des gens ne faisant pas partie d’une société donnée, alors comment écarter l’impact de nos sociétés envers les animaux domestiqués et sauvages? Les animaux possèdent comme nous des intérêts fondamentaux, dont l’intérêt de vivre dans un environnement sain et de jouir d’une certaine autonomie. Si l’épanouissement humain a une quelconque importance pour une théorie de la justice (ou inversement, si la vulnérabilité et la domination sont des problèmes à enrayer), alors je ne vois pas comment on peut, sinon que par spécisme, ignorer le cas des animaux.

6. Reconceptualiser nos théories politiques

Considérer les animaux au sein des théories de la justice a aussi une valeur instrumentale pour l’enrichissement de la philosophie politique elle-même. Comme toute expérience de pensée, il s’agit d’un beau problème pour étudier les faiblesses et angles morts des théories politiques. Il faut se l’avouer, les philosophes politiques ont tendance à faire une surenchère rationaliste de leurs théories. Un peu de remise en question ne peut pas faire de tort, surtout du fait que les philosophes ne sont jamais à l’abri des biais et préjugés!

La philosophie politique animale fournit ainsi un terrain fertile pour de nouvelles réflexions qui sauraient mieux rendre compte et rendre justice à la complexité de nos relations avec les animaux et les humains les plus vulnérables, souvent marginalisés par nos théories politiques. Elle nous force à revisiter des concepts chers à la philosophie politique, comme le concept des droits fondamentaux, de contribution, de coopération, de citoyenneté, de participation politique, de représentation, d’épanouissement, de contrat social, de société, d’égalité, de liberté, et bien d’autres encore.

Pour l’éthique animale elle-même, utiliser les théories politiques ouvre la voie vers de nouvelles questions très importantes, comme celle de la justice distributive (nos sociétés doivent-elles allouer des ressources pour aider les animaux à s’épanouir, et si oui, comment le déterminer?), de justice internationale (quels sont nos devoirs envers les animaux ne faisant pas partie de nos sociétés? comment gérer les différends avec les minorités qui n’endossent pas la conception de la justice animale défendue par le reste de la société?) ou de démocratie (comment représenter les intérêts des animaux sur la scène politique?). Des questions nécessaires et fascinantes!

Cela ne signifie pas que les débats soient gagnés d’avance — d’où l’intérêt à ce que les spécialistes d’éthique animale s’investissent dans les enjeux de philosophie politique. Et ce nouveau champ d’intérêt ne remplace pas l’éthique animale, loin de là: il se construit à partir des débats en philosophie morale. De nouvelles possibilités s’ouvrent et de nombreux problèmes se présentent. Par exemple, il existe au moins une théorie politique qui continue d’être fermée à la philosophie politique animale: le contractualisme d’allégeance hobbesienne, où les termes du contrat social sont négociés par des agents égoïstes qui cherchent à établir un équilibre rationnel. Cependant, je ne crois pas que cette barrière soit infranchissable et je compte y revenir dans un prochain billet.

Récents développements en philosophie politique animale

Je disais donc que l’entrée des animaux non humains dans la sphère de la philosophie politique, au-delà du traditionnel et nécessaire débat sur les droits des animaux, est un phénomène relativement nouveau. Voici un aperçu d’importantes publications dans ce nouveau domaine de recherche (et on ne parle même pas des articles publiés dans des revues académiques!).

  • Zoopolis (2011) par Sue Donaldson et Will Kymlicka, Oxford University Press, 329 pages.
    Donaldson and Kymlicka - Zoopolis

    • Comme j’en ai parlé précédemment, Donaldson et Kymlicka proposent une théorie de la citoyenneté appliquée aux animaux. Tous les animaux bénéficient des mêmes droits fondamentaux, mais certains droits sont différenciés selon le groupe: les animaux domestiqués doivent être considérés comme des citoyens des sociétés mixtes humaines et non humaines, alors que les animaux sauvages doivent être considérées comme des communautés souveraines et les animaux limitrophes (animaux sauvages vivant en milieu urbain) doivent être reconnus comme des résidents permanents, avec droit de résidence sur notre territoire mais non droit d’accéder à nos institutions. Cette théorie audacieuse et très bien défendue apporte ainsi un vent de fraicheur dans les débats en éthique animale!

  • Animal Rights Without Liberation (2012) par Alasdair Cochrane, Columbia University Press, 256 pages.
    cochrane - animal rights without liberation

    • Cochrane propose une théorie des droits basés sur les intérêts, mais ce qui rend sa théorie originale est que même s’il estime que les animaux devraient avoir le droit de ne pas être tués et le droit de ne pas souffrir, ils ne se qualifient pas pour avoir le droit à la liberté. Je suis en désaccord avec cette thèse (que j’ai critiquée dans mon mémoire de maîtrise, section 2.4.2.), mais l’essai comporte de nombreux mérites et j’en recommande la lecture. Cochrane explique bien ce qui devrait être le fondement des droits et il répond à des nombreuses objections et questions à l’application des droits des animaux. Il traite aussi des conflits avec l’éthique environnementale et des conflits avec le multiculturalisme.

  • A Theory of Justice for Animals: Animal Rights in a Nonideal World (2013) par Robert Garner, Oxford University Press, 197 pages.
    garner - a theory of justice for animals

    • Garner est un peu comme le chien de garde en philosophie politique animale. Il est convaincu qu’il faut inclure les animaux en philosophie politique, et il fut l’un des premiers à publier sur le sujet, avec The Political Theory of Animal Rights publié en 2005. En revanche, il demeure sceptique à l’égard de la plupart des propositions avancées dans le domaine, notamment les approches contractualistes en faveur des droits des animaux. Dans cet essai, Garner a comme ambition de développer une théorie de la justice qui serait compatible avec un contractualisme orthodoxe. Il croit en effet qu’il existe un certain consensus par recoupements qui considère que les animaux peuvent être l’objet direct de certains considérations de justice, ce qui permettrait d’intégrer les animaux dans la sphère de justice. Pour cette même raison, il faut aussi apprendre à modérer l’ambition abolitionniste (ou d’égalitarisme animal). En empruntant des ressources à propos des débats entre théorie idéale (ou ce qui devrait régir nos lois et institutions) et théorie non idéale (qui intègre des contraintes pratiques concernant la mise en application de la théorie idéale), Garner propose une théorie idéale ressemblant à celle de Cochrane et une théorie non-idéale d’allégeance welfariste, ce qui permettrait néanmoins d’importantes avancées dans le traitement des animaux.

  • Frontiers of Justice: Disability, Nationality, Species Membership (2009) par Martha C. Nusbaum, Belknap Press, 512 pages.
    nussbaum - frontiers of justice

    • L’une des plus brillantes intellectuelles américaines a consacré un chapitre de son livre Frontiers of Justice pour explorer comment la théorie des capabilités (qu’elle a contribué à formuler) peut répondre à nos devoirs envers les animaux. Ce faisant, elle explique en quoi, même au sein du libéralisme politique dans lequel elle s’inscrit (ce que je ne suis pas certain de trouver cohérent avec sa conception de la dignité), les animaux devraient être intégrés en tant que sujets de justice. Elle dresse ainsi une liste de dix capabilités à octroyer aux animaux, bien qu’elle hésite à leur reconnaitre un droit à la vie.

  • Animal Rights: Theory and Practice (2009) par Mark Rowlands, Palgrave Macmillan, 2e édition, 240 pages.
    Rowlands - Animal Rights

    • Rowlands propose une théorie contractualiste des droits des animaux. En prenant bien soin de distinguer le contractualisme hobbesien du contractualisme kantien, il explique en quoi la théorie de la justice de John Rawls peut être amendée pour inclure les animaux en tant que sujets de justice. En effet, Rowlands soutient que si l’on comprend vraiment bien les principes essentiels qui sous-tendent la théorie rawlsienne, alors nous devrions, sous le voile d’ignorance, concéder que l’appartenance à l’espèce humaine et la possession de rationalité sont des critères moralement arbitraires (voir cet extrait). Le reste du livre est dévoué à expliquer les failles de l’approche utilitariste et de celle de Tom Regan, en plus de développer une certaine éthique de la vertu en éthique animale.

  • Governing Animals: Animal Welfare and the Liberal State (2012) par Kimberly K. Smith, Oxford University Press, 207 pages.
    smith - governing animals

    • Nos sociétés acceptent déjà que les animaux peuvent être légitimement l’objet de considérations politiques. Selon Smith, il existe en effet un consensus social pour leur accorder au moins certaines protections, et certains animaux font même partie de nos communautés. En s’inspirant du libéralisme politique de Rawls (et en empruntant beaucoup d’éléments de Raz), Smith estime ainsi que l’on peut développer une approche welfariste libérale sans se prononcer sur les débats concernant le statut moral particulier des animaux. Par contre, Smith fait moins de la philosophie politique abstraite que de l’analyse politique bottom up, dans la mesure où elle évoque de nombreux exemples de jugements américains et tente d’en déchiffrer leur fondement et signification. À travers cette analyse, elle propose alors d’expliquer en quoi certains animaux peuvent faire partie d’une théorie libérale du contrat social, comment nous pouvons et devrions représenter les animaux sur la scène politique, et quel devrait être leur statut juridique. Elle discute aussi des conflits entre la protection animale et les libertés humaines, et de quelle manière on pourrait les résoudre. Pour le répéter, il s’agit tout de même d’une approche welfariste qui cherche à améliorer la condition animale et non à leur octroyer des droits fondamentaux.

  • Animals, Equality and Democracy (2011) par Siobhan O’Sullivan, Palgrave Macmillan, 232 pages.
    O'Sullivan - Animals Equality and Democracy

    • Contrairement aux autres essais, ce livre ne cherche pas à inclure les animaux dans la sphère de justice. O’Sullivan cherche plutôt à mettre en lumière l’incohérence interne qui existe dans les lois et les règlements qui portent sur les animaux, c’est-à-dire que ces lois n’offrent pas le même niveau de protection selon le type d’espèce et d’utilisation (comme j’en ai déjà parlé dans « L’exploitation animale est consacrée dans la loi »). Selon O’Sullivan, ce problème viole des principes très importants de nos démocraties libérales dans la mesure où les lois, qui prétendent quand même par moments protéger les animaux, ne les protège aucunement de manière égale. De plus, cela brime la transparence nécessaire pour que les citoyens de nos démocraties puissent prendre des décisions éclairées sur ces lois. En effet, les animaux sont aujourd’hui très souvent invisibles de notre environnement social (et plus un animal est invisible, moins il est protégé par la loi). Comment une démocratie peut-elle alors raisonnablement décider de comment on devrait traiter les animaux si les citoyens ignorent comment les animaux sont traités?

Fait intéressant, tous ces essais adoptent une approche libérale de la justice — et pourtant, ils ont tout de même des points de vue très variés, passant d’un égalitarisme antispéciste à des formes plus ou moins avancées de welfarisme. Je m’inscris moi aussi dans la tradition libérale (mes recherches portent d’ailleurs sur le concept d’autonomie), mais j’estime qu’il pourrait être très intéressant de développer des théories de justice animale qui s’écartent de ce quasi-monopole du libéralisme. En un sens, on vient à peine d’effleurer ce que la philosophie politique animale peut offrir. Les utilitaristes, les féministes et les anarchistes ont déjà beaucoup écrit en éthique animale. À quand une théorie politique alternative qui abordera de manière systématique nos obligations politiques à l’endroit des animaux?

4 avis sur « Peut-on (et doit-on) inclure les animaux dans la philosophie politique? »

  1. Bonjour,
    Votre article est, comme toujours, d’une justesse incroyable.
    Je l’ai partagé en espérant que certains esprits sachent s’ouvrir.
    Pour ma part, je viens s’adhérer le mois dernier à PACMA, parti politique espagnol défendant les droits des animaux.
    Merci pour vos superbes articles et recommandations de lecture.
    Bien à vous,

    • Bonjour Maica,

      Merci beaucoup pour votre message très touchant et encourageant.
      Je ne connaissais pas l’existence du PACMA, je vais aller faire des recherches à leur sujet!
      N’hésitez pas à m’écrire si vous avez des questions sur ce que j’écris.
      Au plaisir,

      Frédéric

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