Expérimentation animale à l’Université de Montréal: le cas Selye

Le Dr Hans Selye.

Le Dr Hans Selye avec l’un de ses sujets de recherche.

J’ai étudié à l’Université de Montréal pendant six ans, où j’ai complété le baccalauréat ainsi qu’une maîtrise en philosophie. Comme plusieurs de mes pairs, j’étais bien au courant de certains défauts de mon institution, entre autres parce que nous en discutions souvent durant la grève de 2012 (d’ailleurs, plusieurs de ces problèmes sont détaillés dans l’excellent essai de mon professeur Michel Seymour).

Pourtant, c’est seulement tout récemment que j’apprends que des recherches particulièrement cruelles et célèbres y ont été conduites pendant des années. Je sens donc à la fois un devoir et une dette de rapporter ces faits trop méconnus autour de moi, car je crois que critiquer une institution c’est aussi, parfois, l’inviter à s’améliorer. Mon université s’est rendue complice de graves injustices, et par cet étrange sentiment d’appartenance qui me relie à cette communauté, je me dois au moins d’informer les autres qui continuent de fréquenter cette institution.

Les expériences de feu Hans Selye portant sur la nature du stress, ses causes et ses effets ainsi que la prévention et le traitement des maladies liées au stress sont connues mondialement. […] Pourtant, les expériences menées sur une période de plus de 40 ans par Selye et son équipe de chercheurs à l’Université de Montréal, au sein de l’Institut de chirurgie et de médecine expérimentale (dont il fut directeur), ont fait l’objet de critiques virulentes. […]

L’usage d’animaux par Selye a en effet atteint des proportions sans précédent. Selon ses propres estimations, au cours d’une année normale, «nous utilisions environ 1 400 rats par semaine à des fins de recherche.» […]

S’il était toujours vivant, Selye devrait probablement admettre en toute candeur que ses expériences ont occasionné énormément de souffrance, puisqu’elles étaient conçues pour exposer les systèmes physiologiques des animaux à des tests comportant différents degrés d’intensité afin d’observer leurs réactions. […] Pour en apprendre davantage sur la nature et les mécanismes biologiques du stress, Selye a dû reproduire en laboratoire des conditions s’apparentant à des blessures ou traumatismes auxquels les être humains sont sujets et en créer d’autres qui soumettraient à des exigences mesurables le système physiologique d’animaux de laboratoire dont les propriétés en tant qu’organismes vivants étaient bien connues. Voilà pourquoi on ne peut éviter de conclure qu’au fil des années, Selye a causé énormément de souffrance chez ses sujets animaux.

Selye a publié plusieurs pavés réunissant divers genres de recherche sur le stress et renfermant les résumés d’expériences menées par des intervenants de ce domaine; quiconque parcourt les articles signés par Selye pourra constater que les types d’intervention suivants ont été pratiquées dans le but de déclencher un stress : blessures chirurgicales (p. ex. ablation des glandes surrénales, de la thyroïde, de l’hypophyse ou d’autres glandes ou organes); exposition prolongée au froidjeûne d’une durée de 48 heures ou plus; contention physique (parfois pendant de longues périodes); exercice forcéalimentations inadéquates; doses toxiques de différents produits chimiques et médicaments (atropine, morphine, formaldéhyde, hormones, corticostéroïdes, phénothiazines, histamines); transsection de la moelle épinièrepincement de la peau au moyen d’une pince hémostatique; et induction d’une quadriplégie. Ces événements stressants ont à leur tour provoqué ulcères gastro-intestinaux, atrophie ovarienne, hypertrophie cardiaque, myocardite, hypertension, néphrosclérose, hypoglycémie et appendicite aiguë, et il n’est pas rare qu’ils aient entraîné la mort.

Michael Fox (1986), The Case for Animal Experimentation, p. 110-111 (caractères gras ajoutés)a
Traduit de l’anglais par Danielle Petitclerc, Traduction DJP

En somme, nous pouvons raisonnablement estimer que pour ces recherches, des dizaines ou des centaines de milliers d’individus (1) ont été soumis, probablement de manière répétée, à des violences psychologiques excessives, et qu’ils ont tous connu une mort prématurée aussitôt qu’ils n’étaient plus considérés utiles.

Que penser de ces recherches?

Mon but n’est pas de diaboliser le Dr Selye. Je crains malheureusement qu’il ne faisait que reproduire les préjugés spécistes de sa société, c’est-à-dire de considérer les animaux non humains comme de simples marchandises, utiles pour leur facilité à être manipulés pour conduire indéfiniment des recherches scientifiques. Le Dr Selye n’était pas sadique et n’a pas voulu mal faire, au contraire: il voulait faire avancer la science et trouver des remèdes, ou du moins des explications, à des phénomènes biologiques et psychologiques fort complexes. Or, ses motivations ne justifient pas pour autant les conséquences de ses gestes.

Mon but ne consiste pas davantage à nier que ces recherches aient pu être utiles — en réalité, bien qu’elles aient toutefois été contestées, les recherches du Dr Selye sur le stress ont mené à la formulation de théories très utiles pour le développement de disciplines comme la cardiologie, l’endocrinologie, l’immunologie, la chirurgie, la médecine de réhabilitation, la psychiatrie, la gérontologie et la médecine sportive, entre autres (voir Michael Fox, idem, p.111-113). Cependant, si l’on veut juger la justification d’un acte en fonction de ses seules conséquences, il faudrait au moins être cohérent et se demander si on penserait la même chose si de telles recherches, avec la même quantité de souffrance, avaient été conduites sur des êtres humains, par exemple sur des enfants ou sur des personnes ayant de sévères déficiences intellectuelles. Mais une telle idée choque terriblement la plupart d’entre nous. On estime qu’il ne faut pas sacrifier certains individus pour l’intérêt du plus grand nombre, à moins de circonstances extrêmement exceptionnelles.

La recherche médicale demeure essentielle, mais doit rester confinée à l’intérieure de frontières morales.(2) Pourquoi refusons-nous d’appliquer ces mêmes frontières aux animaux non humains? Il me semble que si de telles recherches scientifiques ont un intérêt moral, c’est parce qu’elles visent à améliorer la qualité de vie des gens ou à alléger leur souffrance. Or, les animaux non humains aussi sont dignes de jouir de leur vie ou de ne pas souffrir — après tout, c’est bien pour cette raison qu’ils ont servi de cobayes: parce que l’on considérait leurs réactions émotionnelles comme suffisamment fiables pour être extrapolées à l’être humain. Les rats sont donc capables de stress, chose que l’on considère pourtant fortement indésirable, et c’est pour cette raison que nous leur en causons. Cela me semble être une bien triste contradiction, car l’on fait subir ce que l’on voudrait enrayer. Enfin, c’est ainsi que fonctionne la logique de l’oppression, en l’occurrence du spécisme.

Fait intéressant, c’est ce même Michael Fox, défendant la vivisection dans le livre dont sont extraites les citations utilisées ci-dessus, qui a admis un an plus tard que ses arguments étaient erronés. Autrement dit, malgré toute sa présentation de l’utilité scientifique des recherches sur des animaux, il a fini par reconnaître que l’expérimentation animale n’était pas justifiable moralement. Vous pouvez consulter son témoignage via mon billet à son sujet, où il explique qu’il est devenu un défenseur des droits des animaux.

Il est à peu près sûr que des recherches violentes se poursuivent toujours dans les laboratoires de l’Université de Montréal, tout comme de la plupart des universités de ce monde. Ces institutions se défendent en prétextant qu’au moins, aujourd’hui, il existe des comités d’éthique pour surveiller les pratiques en laboratoire, et que chaque utilisation animale doit être approuvée par ce comité. Or, il y a lieu de croire que l’existence de tels comités soi-disant éthiques n’est qu’un écran de fumée: ils sont victimes de ce que l’on appelle en anglais « regulatory capture », c’est-à-dire que les intérêts de ces comités se confondent avec les intérêts de la recherche plutôt qu’être indépendants de ces derniers. C’est notamment le cas du Conseil canadien de la protection des animaux, tel que c’est en partie expliqué ici.

Il y a un grave manque de transparence. Il est très difficile de connaître ce qui se produit entre les murs de notre propre université. Pendant ce temps, ces animaux crient en silence, au nom d’une science dont ils ne bénéficieront jamais. De notre côté, on peine à être reconnaissants et à honorer la mémoire de ces victimes innocentes.(3)


(1) Note: une autre source, provenant cette fois d’une organisation anti-vivisectionniste, fournit des détails encore plus dramatiques: « Pour qu’Hans Selye parvienne à compiler son monumental ouvrage supposément scientifique intitulé Stress (1950), ce ne sont pas des centaines ni des milliers, mais des millions d’animaux —surtout des souris, des rats, des lapins et des chats — qui ont été soumis, dans un nombre incalculable de laboratoires, à des empoisonnement, des brûlures, des chocs traumatiques et électriques, des frustrations de natures diverses, l’écrasement des os et des muscles, la nage jusqu’à l’épuisement, l’exposition au froid glacial, des sirènes stridentes, et l’ablation de différents organes et glandes, incluant l’estomac en entier et les intestins (éviscération), souvent avant d’être passés au tambour rotatif Noble-Collip. »b

(2) Comment doit-on poursuivre la recherche scientifique, s’il ne faut pas utiliser d’animaux non humains? Il s’agit d’une question complexe que je pourrais traiter subséquemment. En attendant, je vous invite à consulter cette page qui réfère à de nombreuses ressources qui présentent des alternatives non violentes à la recherche. Idéalement, le développement d’alternatives doit devenir une priorité absolue.

(3) En effet, la page du Temple de la renommée médicale canadienne ne mentionne en aucun endroit que les découvertes du Dr Selye ont été accomplies en sacrifiant des centaines de milliers d’individus innocents.


(a) Extrait original de Michael Fox (1986), The Case for Animal Experimentation, p. 110-111: « The late Hans Selye’s experiments on the nature of stress, its causes and effects, and the prevention and treatment of stress-related diseases are world famous. […] Yet the experiments conducted over a period of more than forty years by Selye and his research team at the University of Montreal’s Institute of Experimental Medicine and Surgery (which he directed) have been bitterly attacked. […] Selye’s use of animals indeed reached unparalleled proportions. By his own reckoning, in a typical year “we used about 1,400 rats a week for research.” […] It would seem that Selye, if he were still alive, would in all candor have to admit that the suffering caused by his experiments was very considerable, as these were designed to expose the animals’ physiological systems to challenges of varying degrees of severity to see how they respond. […] To learn about the nature and biological mechanisms of stress, Selye had to duplicate conditions in the laboratory that resemble injuries or traumas to which humans are subject and to create others that would produce measurable demands on the physiological system of experimental animals whose properties as living organisms were well known. This is why it is impossible to avoid the conclusion that Selye over the years caused an enormous amount of suffering in his animal subjects. Selye produced several massive compendia of various sorts of stress research containing abstracts of experiments performed by those working in this field, and anyone who peruses the entries bearing Selye’s name will discover that procedures of the following kinds have been used to induce stress: surgical injuries (such as removal of adrenal, thyroid, pituitary, or other glands or organs); prolonged exposure to coldstarvation for forty-eight hours or morerestraint (sometimes for lengthy periods); forced exerciseinadequate dietstoxic doses of various chemicals and drugs (atropine, morphine, formaldehyde, hormones, corticoids, phenothiazines, histamines); spinal cord transectionskin pinching with a hemostat; and production of quadriplegia. These stressful events have in turn caused gastrointestinal ulcers, ovarian atrophy, cardiac hypertrophy, myocarditis, hypertension, nephrosclerosis, hypoglycemia, acute appendicitis, and not infrequently death. » (my emphasis)

(b) Extrait original« To enable Hans Selye to compile his monumental, allegedly scientific volume entitled Stress (1950), not hundreds, not thousands, but millions of animals – mainly mice, rats, rabbits, cats – were submittted in countless laboratories to poisoning, burning, traumatic and electric shocks, various frustrations, crushings of bones and muscles, swimming to the point of exhaustion, exposure to freezing cold, screeching sirens, extirpation of various glands and organs, including the whole stomach and bowels (evisceration), often before they were spun in the Noble-Collip drum. »

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