On a tendance à réduire le débat sur l’expérimentation animale à une dichotomie entre la science et l’éthique. Rien n’est plus faux: il est existe des éthiciens qui défendent l’utilisation d’animaux comme cobayes aux tests scientifiques (par exemple, Carl Cohen, Raymond Frey et Michael Fox — ce dernier ayant cependant changé d’avis) tout comme il existe des scientifiques qui s’opposent à cette pratique, autant pour des raisons purement scientifiques que pour des raisons morales. C’est justement ce que, au cours de l’hivers 2015, le groupe Queen’s Animal Defence a décidé de mettre en valeur dans sa campagne de sensibilisation sur le campus de l’université Queen’s.
Cette campagne, intitulée Hidden Costs/Hidden Potential (que l’on pourrait traduire par « Coûts cachés et potentiel insoupçonné »), rappelle qu’il est fallacieux d’opposer science et éthique. En réalité, la science est toujours déjà comprise à l’intérieur de frontières morales, par exemple dans l’encadrement à l’utilisation d’êtres humains en laboratoire. Il n’y a pas de raison pour que ce souci moral ne soit pas étendu aux autres êtres qui se préoccupent tout comme nous de ce qui leur arrive, et qui peuvent subir des dommages au même titre que nous.1 Vouloir abolir l’expérimentation animale n’implique donc pas de s’opposer au progrès scientifique, mais plutôt de ne pas accepter que ce progrès se fasse sur le dos d’individus vulnérables. Malheureusement, la communauté scientifique demeure trop souvent hostile à cette critique interne et a tendance à marginaliser ceux et celles qui cherchent à en sortir et qui cherchent à faire de la bonne science sans exploiter d’animaux. Parallèlement, puisque sacrifier des animaux demeure presque un rituel pour accéder aux études scientifiques, de nombreux esprits brillants décident de se lancer dans d’autres domaines, ne voulant pas devenir complices de cette violence. Ce sont ces deux points que la campagne de Queen’s Animal Defence, à laquelle j’ai eu l’honneur de participer en tant que membre de l’organisation, oeuvre à mettre en évidence:
C’est dans les contextes d’expérimentation invasive et de dissection pour la recherche et l’éducation que les animaux sont le plus gravement victimisés. Mais ils ne sont pas les seuls à souffrir. Notre nouvelle campagne d’affichage présente notamment les histoires d’ex-chercheur-euse-s en science biomédicale, technicien-ne-s de laboratoire et étudiant-e-s en biologie qui rejettent la prémisse selon laquelle afin d’être valable, la science doit nécessairement impliquer d’infliger de mauvais traitements à des animaux.
Quelles connaissances et combien de découvertes sont demeurées inexplorées en raison de l’exclusion d’étudiant-e-s et de chercheur-euse-s aux préoccupations éthiques et des points de vue différents qu’ils auraient contribués à la science? Combien de ressources et de temps ont été gaspillés à chercher vainement les remèdes à des maladies comme le cancer et l’Alzheimer chez l’humain en employant des «modèles animaux»? Les approches alternatives aux études scientifiques ont le potentiel d’engendrer des percées médicales et d’attirer les scientifiques grâce à une vision plus éthique et holistique de la place qu’occupent les humains dans la nature, élargissant ainsi les horizons et les réalisations de la recherche scientifique.2
Je partage ici l’ensemble des affiches qui ont été utilisées lors de la campagne de l’hiver 2015, avec les témoignages généreusement traduits par Danielle Petitclerc de Traduction DJP. Il s’agit d’un petit échantillon de femmes et d’hommes, provenant de différents horizons, qui ont osé intégrer la compassion au coeur de leur pratique scientifique et qui cherchent à inspirer les nouvelles générations de chercheurs. Il existe aussi de nombreuses autres voix qui lancent ce même cri, car il y a plein d’autres manières, beaucoup plus pacifiques, de faire de la science!
John Gluck: Pendant une bonne partie de ma carrière de chercheur, j’ai considéré la recherche, le développement et l’utilisation d’alternatives aux modèles animaux comme un acte de charité facultatif. Mais après avoir été sensibilisé au prix en souffrance et en détresse que paient les animaux dans le cadre de la recherche, je crois maintenant qu’il s’agit d’une obligation fondamentale de tout-e scientifique digne de ce nom.
Elisabeth Ormandy: Au cours de ses études en neurosciences, Elisabeth s’est mise à s’interroger sur la manière dont le stress subi par les sujets animaux affectait la validité des données recueillies et sur la transposabilité de ces données chez les humains dans des conditions cliniques. Elle enseigne aujourd’hui l’éthique animale à des étudiant-e-s en sciences et travaille de façon active à instaurer des alternatives non humaines dans le milieu de l’enseignement scientifique.
Charu Chandrasekera: En tant que chercheuse en maladies cardiaques et diabète, la docteure Chandrasekera a appris que les différences immuables entre les espèces limitent sévèrement notre capacité à étudier les maladies humaines chez les animaux. Aujourd’hui, elle démasque l’utilité douteuse des modèles animaux et fait la promotion d’alternatives pertinentes à l’être humain dans le cadre de recherches biomédicales.
Steven Harnad: Ayant occupé le poste de rédacteur en chef de Behavioral & Brain Sciences pendant un quart de siècle, le docteur Harnad, qui était alors végétarien, ressentait un grave conflit moral à publier sur des recherches qui avaient fait souffrir des animaux. Maintenant végane, il est rédacteur en chef de Animal Sentience, une publication consacrée à la compréhension des sentiments des animaux et à la prévention des souffrances qui leur sont infligées.
Lawrence Hansen: Le docteur Hansen effectue des recherches en neurosciences sans faire souffrir les animaux. Il a d’abord pris conscience des abus perpétrés envers animaux après avoir entendu dans le sous-sol de sa faculté de médecine les hurlements plaintifs des chiens destinés sous peu à la vivisection. Leur utilisation dans des démonstrations pédagogiques entièrement inutiles faisait montre de l’indifférence totale des humains et d’un échec en matière d’éthique plutôt que de rigueur scientifique ou d’une pédagogie solide.
Anne Innis Dagg: En 1971, dans le but de faire progresser ma carrière, j’ai placé divers mammifères dans l’eau pour les filmer en train de nager. La femelle chinchilla sautillait plutôt que de nager et s’est presque noyée. Je l’ai secourue, mais un ami s’est mis en colère contre moi pour l’avoir traumatisée. Il avait raison. Depuis ce temps, j’étudie seulement le comportement naturel des animaux.
Andrew Knight: Pendant mes études en médecine vétérinaire, j’ai boycotté de nombreux travaux de laboratoire où des animaux étaient tués. J’ai perdu des points, mais j’ai eu la satisfaction de savoir que j’ai obtenu mon diplôme en causant le moins de mal possible à des animaux. On n’a pas besoin de tuer pour apprendre comment soigner!
Jan Oakley: En effectuant des recherches sur la pratique de la dissection des animaux dans les écoles canadiennes, j’ai appris que le fait d’ouvrir des animaux n’est ni le meilleur, ni le seul moyen pour les élèves d’apprendre la biologie. Je fais maintenant la promotion de méthodes d’apprentissage sans animaux qui préservent la notion de «vie» dans les sciences de la vie.
Tracey Hamilton: Tracey a entamé des études de premier cycle en zoologie, mais s’est ensuite orientée vers la philosophie, car elle refusait de disséquer des visons écorchés provenant d’un élevage de fourrure. Elle étudie actuellement l’éthique animale dans le but d’aider d’autres personnes à réussir dans les domaines scientifiques tout en conservant intactes leurs valeurs morales.
Cette campagne, comme les autres campagnes de sensibilisation réalisées par Queen’s Animal Defence, gagnerait à être exportée dans d’autres campus universitaires afin de montrer aux étudiant-e-s en science qu’il y a une autre manière de poursuivre leur parcours. Il suffit de me contacter pour discuter de cette possibilité, car il me fait toujours plaisir d’aider à de telles initiatives.
1. Si vous souhaitez lire davantage au sujet de l’expérimentation animale, je vous propose cet excellent article de Thomas Lepeltier publié dans Sciences humaines, cet article de Nathan Nobis (en anglais) ainsi que ces notes d’une conférence de Christiane Bailey (en anglais). Enfin, le film Maximum Tolerated Dose montre aussi de bonnes entrevues avec des chercheur-e-s et technicien-ne-s en laboratoire:
2. Traduction de Danielle Petitclerc de Traduction DJP. Texte original: « Animals are the most seriously victimized by invasive experimentation and dissection in research and education. But they’re not the only ones affected. Our new poster campaign highlights the stories of former biomedical researchers, lab technicians, biology students and others who refuse to accept the premise that doing good science necessarily entails harming animals.
What knowledge and how many discoveries have been lost due to the exclusion of ethical students and researchers, and the different perspectives they would bring to science? How many resources and how much time have been wasted in the vain pursuit of cures for diseases like cancer and Alzheimer’s in humans using ‘animal models’? Alternative approaches to scientific inquiry have the potential to generate medical breakthroughs, and to attract scientists with a more ethical and holistic conception of the place of humans in the natural world, thereby expanding the horizons and achievements of scientific inquiry. »