John Oswald (1730-1793)

On accuse souvent ceux qui défendent les droits des animaux de vouloir imposer leur vision au reste du monde comme le veut l’impérialisme occidental, avec des valeurs « eurocentristes » qui ne cadrent pas avec les différentes cultures du monde. Quelle accusation ironique,lorsqu’on sait qu’à peu près toutes les cultures ont leur tradition de compassion avec les animaux, ou à tout le moins une critique interne les invitant à un plus grand respect envers les non-humains! En réalité, c’est bien l’Europe et l’Occident, avec leur lourde histoire gravée par le christianisme, le cancre de la classe mondiale; c’est bien nous, avec notre héritage cartésien et thomiste de voir les animaux comme des machines ou des objets à notre disposition, qui avons propagé les pires traitements envers les animaux non humains et qui avons le plus insisté sur la suprématie humaine.

Je suis tombé sur John Oswald, auteur écossais du XVIIIe siècle qui, alors soldat en Inde pour la couronne britannique, avait décidé de démissionner après avoir vu les siens maltraiter les Indiens qui se révoltaient. Il a ensuite parcouru le continent, s’est familiarisé avec l’hindouisme et a adopté le végétarisme. De retour en son pays, il publie The Cry of Nature, un vibrant plaidoyer dans lequel il expose ce que l’hindouisme lui a appris comme leçon morale, que vous pouvez consulter sur le site de l’Union Végétarienne Internationale (en anglais).

Le frontispice de l'édition de 1791.

Le frontispice de la première édition.

(Truc moins intéressant, par contre, c’est que par la suite, il a milité pour encourager les révolutions armées,  ce qui serait, selon lui, la seule manière d’atteindre une paix sociale définitive. Il est d’ailleurs mort en combattant pendant la Révolution française.)

Voici quelques extraits (bien que je n’ai fait que survoler le texte), maintenant gracieusement traduits par Danielle Petitclerc de Traduction DJP (voir les extraits originaux en notes en bas de page):

Sur la différence entre la vision européenne et la vision hindoue:

Souverain despote du monde, maître de la vie et de la mort de toutes les créatures, l’homme dénie tout parentage avec les esclaves de sa tyrannie. Aussi concordantes soient-elles avec les sentiments du cœur humain, leurs affections sont le simple résultat d’impulsions d’ordre mécanique; d’aussi près qu’elles s’approchent de la sagesse humaine, leurs actions n’ont que l’apparence de la sagacité; éclairé par la lumière de la raison, l’homme occupe une place bien éloignée des bêtes qui n’ont pour guide que leurs instincts et, né pour mourir, il dédaigne de se reconnaître un lien social avec les bêtes qui périssent.

[…]

Bien autres sont les sentiments du miséricordieux Hindou. Enveloppant de son affection toute forme de vie, il perçoit en chaque créature un frère; il se réjouit du bien-être de chaque animal et compatit avec sa douleur, car il sait, et est convaincu, que l’essence de toutes les créatures est la même, et qu’une seule cause première éternelle nous conçut tous.1

Sur ce que les animaux peuvent nous apporter:

[…] en suscitant notre affection, pour contribuer à notre félicité. Nous les considérons comme des frères muets, dont il nous revient d’interpréter les besoins, aux imperfections desquels il est de notre devoir de pallier. La bienveillance que nous leur témoignons nous est amplement rendue par les avantages qu’ils procurent; et l’agréable contrepartie de notre bonté est cette gratitude touchante qui rend le soin de subvenir à leurs besoins plutôt une occupation plaisante qu’une tâche pénible.2

Sur le fait que la compassion est plus naturelle que la violence:

Il existe en nous une répugnance profondément ancrée à faire couler le sang, une répugnance qui ne se plie qu’à la tradition, et que même l’habitude la mieux implantée ne peut parvenir à surmonter entièrement. Voilà pourquoi la tâche ingrate de déverser le flot de la vie, afin d’assouvir la gloutonnerie qui préside à nos tables, a été, dans tous les pays, dévolue à des hommes du plus bas échelon; et leur profession, dans chaque pays, est un objet de dégoût. Nous nous nourrissons sans remords de la carcasse car les soubresauts d’agonie de la créature abattue sont cachés à notre vue, car ses cris ne percent pas notre ouïe, car ses hurlements déchirants ne pénètrent pas dans nos âmes; serions-nous forcés, de notre propre main, d’assassiner les animaux que nous dévorons, lequel d’entre nous ne jetterait pas le couteau avec horreur, et plutôt que d’ensanglanter ses mains par le meurtre de l’agneau, consentirait à se priver à jamais de son repas favori? Que dirons-nous alors? Est-elle vainement implantée dans nos cœurs, cette aversion de la cruauté, cette affection compatissante pour chaque bête? Ou les sentiments de nos cœurs révèlent-ils la raison d’être de la nature avec plus d’infaillibilité que toute la subtilité sophistiquée d’un groupe d’hommes qui ont sacrifié à l’autel de la science les sentiments les plus chers de l’humanité?

[…]

Et pourtant, ces réseaux de sympathie envers les bêtes inférieures, une longue, très longue désuétude n’a pas su les étouffer tout à fait. Encore aujourd’hui, en dépit de la tendance étroite, triste et insensible des superstitions prédominantes, même à présent, nous découvrons, en chaque point du globe, quelque à-priori affable envers les créatures persécutées; dans chaque pays, nous apercevons certains animaux privilégiés dont même les impitoyables mâchoires de la gloutonnerie n’osent pas s’emparer. Car, sans mentionner les vastes empires des Indes, du Thibet et de la Chine, où les formes de vie d’ordre inférieur sont perçues comme des éléments de la société, et où elles sont protégées par les lois et la religion des indigènes, les Tartares s’abstiennent de consommer plusieurs espèces d’animaux; les Turcs se montrent charitables jusqu’envers le chien, qu’ils haïssent; et même le paysan anglais fait preuve d’un respect sacré des lois de l’hospitalité à l’égard du rouge-gorge.3


1. « Sovereign despot of the world, lord of the life and death of every creature,—man, with the slaves of his tyranny, disclaims the ties of kindred. Howe’er attuned to the feelings of the human heart, their affections are the mere result of mechanic impulse ; howe’er they may verge on human wisdom, their actions have only the semblance of sagacity : enlightened by the ray of reason, man is immensely removed from animals who have only instinct for their guide, and born to mortality, he scorns with the brutes that perish, a social bond to acknowledge. […] Far other are the sentiments of the merciful Hindoo. Diffusing over every order of life his affections, he beholds, in every creature, a kinsman : he rejoices in the welfare of every animal, and compassionates his pains ; for he knows, and is convinced, that of all creatures the essence is the same, and that one eternal first cause is the father of us all. »

2. « […] by calling forth our affections, to contribute to our happiness. We consider them as mute brethren, whose wants it becomes us to interpret, whose defects it is our duty to supply. The benevolence which on them we bestow, is amply repaid by the benefits which they bring ; and the pleasing return for our kindness is, that endearing gratitude which renders the care of providing for them rather a pleasing occupation than a painful task. »

3. « Within us there exists a rooted repugnance to the spilling of blood ; a repugnance which yields only to custom, and which even the most inveterate custom can never entirely overcome. Hence the ungracious task of shedding the tide of life, for the gluttony of our table, has, in every country, been committed to the lowest class of men ; and their profession is, in every country, an object of abhorrence. On the carcase we feed, without remorse, because the dying struggles of the butchered creature are secluded from our sight ; because his cries pierce not our ear ; because his agonizing shrieks sink not into our soul : but were we forced, with our own hands, to assassinate the animals whom we devour, who is there amongst us that would not throw down, with detestation, the knife ; and, rather than embrue his hands in the murder of the lamb, consent, for ever, to forego the favorite repast ? What then shall we say ? Vainly planted in our breast, is this abhorrence of cruelty, this sympathetic affection for every animal ? Or, to the purpose of nature, do the feelings of the heart point more unerringly than all the elaborate subtlety of a set of men, who, at the shrine of science, have sacrificed the dearest sentiments of humanity ? […] And yet those channels of sympathy for inferior animals, a long, a very long disuse has not been able, altogether, to choak up. Even now, notwithstanding the narrow, joyless, and heard-hearted tendency of the prevailing superstitions ; even now, we discover, in every corner of the globe, some good-natured prejudice in behalf of the persecuted creatures : we perceive, in every country, certain privileged animals, whom even the ruthless jaws of gluttony dare not to invade. For to pass over unnoticed the vast empires of India, Thibet, and China, where the lower orders of life are considered as relative parts of society, and are protected by the laws and religion of the natives, the Tartars abstain from several kinds of animals : the Turks are charitable to the very dog, whom they abominate ; and even the English peasant pays towards the Robin-red-breast an inviolate respect to the rights of hospitality. »

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