Violences et bienveillance, envers les autres et envers soi

Tableau de Shadia Alem, “Beyond” (1993).

Lorsqu’on s’investit dans un mouvement social, on aborde généralement les systèmes d’oppression au sens structurel, systémique et sociétal. On parle donc d’injustices se produisant à grande échelle, de manière répétée et souvent tenace, et ayant des conséquences très dramatiques sur des groupes particuliers. Je me rends de plus en plus compte que cette analyse restera incomplète tant qu’on ne s’intéressera pas aussi aux formes de violence à plus petite échelle, c’est-à-dire celles qui se manifestent dans la sphère plus privée entre tout individu et qui passent inaperçues la plupart du temps — ces violences du quotidien, ces violences que l’on commet y compris envers les gens que l’on aime le plus, sans reconnaître qu’il s’agit de violence ou d’enfreinte aux limites d’autrui. Et je ne parle pas de violences perpétrées par des individus manipulateurs ou de celles qui courent dans les relations toxiques, mais bien de celles que tout un chacun ayant grandi dans une société qui nous inculque à ne pas prendre responsabilité de nos émotions et à ne pas valoriser l’autonomie d’autrui reproduit par des moments d’impatience et de négligence, de fatigue et d’ignorance, parfois même malgré les meilleures intentions.

La plupart des gens ne sont pas méchants, et pourtant nous vivons dans des sociétés éminemment oppressives. Cela est dû en partie au fait que nous reproduisons des normes sociales qui limitent les libertés d’autrui (et les nôtres), comme celles liées aux rôles du genre et à l’identité du genre, et que les classes privilégiées reconduisent leurs privilèges (de manière consciente ou inconsciente). Pour la féministe Marilyn Frye, ces oppressions provoquent le sentiment de vivre dans une cage, une cage dont les barreaux réduisent et prédéterminent significativement nos options.1 Je pense que la manière dont nous nous traitons les uns les autres ajoute des barreaux à ces cages en ce que cela brime notre développement, notre bien-être, notre capacité à rentrer en relation avec autrui (et avec soi-même) ainsi que notre confiance en soi (et en les autres). On ne s’en rend pas compte, entre autres parce qu’on y est habitués, parce que tout le monde en fait autant, parce qu’on sait que ces individus nous aiment et veulent notre bien et parce qu’on manque de modèles pour faire mieux. Et pourtant plusieurs de nos comportements parviennent, même involontairement, à brimer les possibilités d’autrui et à miner leur développement. En ce sens, ce que j’appelle ces « violences du quotidien » participent aussi aux diverses formes d’oppression, du moins rendent les libérations plus ardues, d’autant plus qu’elles ont un effet cumulatif.

Je pense maintenant que l’une des manières reconnues pour désamorcer et renverser ces violences du quotidien pourrait également s’avérer utile dans tout mouvement pour la justice sociale au sens large: développer notre bienveillance, notre bienveillance non seulement envers des groupes vulnérabilisés, mais aussi à tout moment envers toutes et tous — envers les autres et envers soi, envers les étrangers comme nos proches. Je sens que de tels outils sont malheureusement négligés dans plusieurs cercles militants, et je voudrais dans ce texte développer sur l’intérêt à pratiquer la bienveillance le plus possible ainsi qu’à prendre conscience de combien elle est absente de la plupart de nos interactions quotidiennes. Lire la suite

Pas de trêve pour Noël

Il est coutume, en temps de guerre, de faire une trêve pour les fêtes importantes. Lorsque les deux États en guerre ont un héritage chrétien, ils s’entendent généralement pour interrompre les hostilités le temps de Noël. Alors que la symbolique de Noël perd de plus en plus sa signification chrétienne, il n’en demeure pas moins que la plupart des personnes non-croyantes voient cette fête comme la journée par excellence pour souligner la paix, l’amitié, la réunion.

Et pourtant, Noël n’est pas une vraie trêve. Il existe une classe de victimes qui continuent d’être violentées en cette journée comme les autres journées de l’année. Elles n’ont pas l’occasion de se reposer une seule journée, de vivre un peu d’amitié, de joie, de compassion, de liberté, de reconnaissance. En fait, il se peut que ces temps-ci, elles soient encore plus sollicitées que le reste de l’année, car elles sont jugées essentielles à certaines traditions. Comme s’il valait la peine de perpétuer des traditions violentes, ou comme si on ne pouvait pas adapter et faire évoluer ces traditions.

Pour ces victimes, c’est la guerre perpétuelle. La seule trêve qu’elles auront, ce sera à leur mort, mort planifiée et tout aussi violente que le reste de leur vie.

bizarro - thanksgiving and christmas

Dessins de circonstance faits par le bédéiste végane Dan Piraro (Bizarro.com).
Cliquez sur l’image pour accéder à son site et à d’autres de ses illustrations.

Si vous croyez vraiment au mot PAIX, ne serait-ce qu’une journée par année, il serait temps de commencer à l’appliquer. Offrez la compassion et la non-violence. « War is over, if you want it », disait John Lennon. C’est combien vrai!

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Défense d’aider les animaux

Lesli Bisgould - Animals and the Law

Dans son chapitre sur les animaux sauvages, la professeure de droit de l’Université de Toronto Lesli Bisgould écrit:

Tandis qu’une personne a le droit de perturber un animal [sauvage] dans le but de tenter de le tuer, elle ne doit pas le faire dans l’intention d’essayer de l’aider; il est interdit de déranger les animaux « en vue d’empêcher ou de gêner des activités licites de chasse ou de pêche »; toucher ou enrayer tout piège tendu conformément à la législation constitue également une infraction.1

– Lesli Bisgould (2011), Animals and the Law, p. 241

Parallèlement, l’article de Vaughan Black intitulé “Rights Gone Wild” propose une intéressante réflexion sur le fait que la plupart des provinces du Canada ont adopté un droit symbolique à la chasse. Les députés, au lieu de se questionner sur les conséquences imprévisibles de tels statuts, ont plutôt profité de leurs interventions en chambre pour raconter des histoires de chasse, prétendre que la chasse est nécessaire à l’équilibre des écosystèmes (mais sans jamais citer d’études scientifiques à ce sujet), et que c’est bon pour l’éducation des enfants et la famille. Et ils ont même été capables de parler de chasse sans mentionner le mot « kill » (tuer): Lire la suite