Dans son chapitre sur les animaux sauvages, la professeure de droit de l’Université de Toronto Lesli Bisgould écrit:
Tandis qu’une personne a le droit de perturber un animal [sauvage] dans le but de tenter de le tuer, elle ne doit pas le faire dans l’intention d’essayer de l’aider; il est interdit de déranger les animaux « en vue d’empêcher ou de gêner des activités licites de chasse ou de pêche »; toucher ou enrayer tout piège tendu conformément à la législation constitue également une infraction.1
– Lesli Bisgould (2011), Animals and the Law, p. 241
Parallèlement, l’article de Vaughan Black intitulé “Rights Gone Wild” propose une intéressante réflexion sur le fait que la plupart des provinces du Canada ont adopté un droit symbolique à la chasse. Les députés, au lieu de se questionner sur les conséquences imprévisibles de tels statuts, ont plutôt profité de leurs interventions en chambre pour raconter des histoires de chasse, prétendre que la chasse est nécessaire à l’équilibre des écosystèmes (mais sans jamais citer d’études scientifiques à ce sujet), et que c’est bon pour l’éducation des enfants et la famille. Et ils ont même été capables de parler de chasse sans mentionner le mot « kill » (tuer):
La seconde observation spontanée que j’émettrais au sujet du discours tenu dans le cadre des débats législatifs sur le droit de chasser concerne le constat fait par les défenseurs de la libération animale que la nature et l’étendue véritables de la violence commise par les êtres humains envers les êtres non humains est systématiquement occultée par un vocabulaire qui cache cette violence. Ainsi, on récolte ou on abat les phoques plutôt que de les tuer; nous servons du porc au souper plutôt que la carcasse d’un cochon; nous portons du cuir plutôt que la peau d’une vache; et ainsi de suite. On pourrait en dire encore long à ce sujet, mais j’émettrai seulement une remarque qui vient appuyer cette constatation : sur plus de cent pages à interligne simple renfermant surtout un débat justificatif sur le droit de chasser les êtres non humains en Ontario, en Colombie-Britannique et au Québec, le mot « tuer » n’apparaît pas une seule fois. Autrement dit, des législateurs peuvent passer des heures à deviser sur la validité et l’importance de la chasse sans jamais mentionner le mot qui commence par « t ». On préfère discuter abondamment de l’importance du droit de « récolter », d’« attraper », d’ « abattre », de « prendre », de « descendre », de « tirer » et d’« avoir » un ours, un chevreuil, un orignal, etc. (p. 18)2
En fait, le mot « killed » (tués) apparait seulement lorsqu’on parle des chasseurs, qui sont victimes d’animaux cherchant à se défendre:
Au contraire, comme un membre de l’Assemblée législative en a fait la remarque lors des débats en Ontario : « Il y a beaucoup de gens qui ont été littéralement tués. Je connais quelqu’un qui a dévié de sa voie pour éviter un chevreuil et s’est retrouvé dans le fossé et a frappé un ponceau et est mort. » En d’autres termes, dans le cadre des débats législatifs en faveur du droit de chasser, les chevreuils tuent des êtres humains. En revanche, les humains ne font que ramener un chevreuil à la maison. (p. 19)3
Black note aussi que de nombreux États ont passé des lois qui empêchent de nuire à la chasse:
Il convient de mentionner ici un développement relié d’ordre juridique, en particulier parce que, du moins au Québec, il est intimement associé à la législation sur le droit de chasser. Depuis les années 1980, 48 États américains ont adopté des lois contre le harcèlement des chasseurs. Cette législation répondait soi-disant aux activités de militants de la libération animale qui se rendaient en forêt pendant la saison de chasse dans l’objectif avoué de faire fuir les proies loin de leurs poursuivants. Plusieurs provinces canadiennes ont emboîté le pas. (p. 12)4
Quant au règlement voté à l’unanimité à l’Assemblée nationale du Québec, vous pouvez le consulter ici en anglais et en français.
Le fait de tuer des êtres sensibles, en le pratiquant ouvertement comme un sport, est donc une valeur canadienne et américaine méritant d’être protégée. Le fait de vouloir aider et sauver des êtres sensibles innocents, en revanche, est contraire aux valeurs nationales. Et on joue avec les mots pour camoufler la réalité. On interchange les rôles de la victime et de l’agresseur.
Dans le même ordre d’idées, on peut mentionner les « Ag Gag Laws » aux États-Unis qui criminalisent le fait de filmer des élevages industriels. Il est interdit de dénoncer de ce que les animaux subissent. Le droit de ceux qui commettent la violence passe-t-il avant celui de ceux qui la subissent?
Extraits traduits par Danielle Petitclerc, Traduction DJP. Extraits originaux:
1. Lesli Bisgould (2011), Animals and the Law, p. 241: “While a person may disturb [wild] animals for the purpose of trying to kill them, a person may not do so for the purpose of trying to help them: it is prohibited to disturb animals ‘with the intention of preventing or impeding lawful hunting or fishing’; it is also an offence to knowingly touch or interfere with any trap set in accordance with the legislation.”
2. Vaughan Black (2005), “Rights Gone Wild”, 54 UNBLJ, p. 18: “The second drive-by observation I would make about the discourse in the legislative debates around right-to-hunt legislation relates to the observation by animal liberationists that the true nature and extent of the violence visited upon non-humans by humans is systematically masked by language which hides that violence. Thus, one harvests or culls seals rather than killing them. One dines on pork rather than on the corpse of a pig. One wears leather rather than the skin of a cow, and so on. Again, a lot might be said here and I offer only the confirmatory observation that in over a hundred single-spaced pages of mostly justificatory debate about the right to hunt non-humans in Ontario, British Columbia, and Quebec, the word « kill » (or its French cognate) does not once appear. That is, legislators can speak for many hours about the goodness and importance of hunting without ever mentioning the « k » word. Rather, much is said about the importance of a right to « harvest », « dispatch », « cull », « take », « take down », « bring down » and « get » bear, deer, moose and so on.”
3. Idem, p.19: “Rather, as one MLA noted in the Ontario debates: ‘There have been many people who have literally been killed. I know one individual who swerved to avoid a deer and ran into the ditch and hit a culvert and died.’ In other words, in the legislative debates in support of a right to hunt, deer kill humans. Humans, on the other hand, just bring deer home.”
4. Idem, p. 12: “A related statutory development is worth noting here, especially because, at least in Québec, it is closely tied to right-to-hunt legislation. Starting in the 1980s, 48 American states passed anti-hunter harassment statutes. These were in ostensible response to the activities of animal liberationists who went into the woods in hunting season with the avowed goal of scaring quarry away from its pursuers. A number of Canadian provinces followed suit.”
J’admets que j’en reste muet… J’ignorais totalement cet état de fait et j’apprécie d’avoir pu le découvrir en lisant cet article. Merci pour la matière à penser.
Toucher un animal sauvage pour « l’aider » peut être très dangereux, à la fois pour l’humain qui aide (risque de blessures) que pour l’animal « aidé » (qui va avoir une odeur humaine). Il faut prendre le temps de s’informer avant de conclure à l’hypocrisie.
Vos deux mises en garde sont justes, mais je persiste à croire que ça ne change pas le problème. Ces lois ont été proposées par les lobbys de la chasse; sans doute pour protéger les humains, en effet, notamment pour éviter les accidents de chasse (car si on essaie d’interférer avec un chasseur, il y a des risques…). Mais aussi parce que les chasseurs et pêcheurs n’aiment pas être dérangés.
Cela demeure hypocrite. Pourquoi serait-ce illégal de désamorcer une trappe? Il existe aussi plusieurs moyens de troubler un animal pour le sauver de la chasse, entre autres en faisant du bruit pour l’effrayer et lui permettre de se sauver. En quoi ça mettrait l’humain en danger ou l’animal en danger?
Je ne peux m’empêcher sinon de souligner la contradiction lorsque vous avancez que troubler un animal peut être dangereux pour lui (par exemple, en lui transmettant une odeur humaine), mais non de le tuer? Et lequel des deux est le pire? Surtout, faut-il se soucier des intérêts des animaux, oui ou non? Si non, pourquoi émettez-vous ce commentaire en premier lieu?
Et finalement, permettez-moi de souligner l’ironie lorsque vous dites « Il faut prendre le temps de s’informer avant de conclure », alors que vous avez récemment commis une grave diffamation envers un philosophe respectable. Décidémment, vous ne vous gênez pas.