La construction sociale de l’animal
Ne prenez pas le temps d’y penser : si je vous demande de répondre spontanément à la question « que boit une vache ? », il est probable que vous répondiez « du lait ». C’est même un exemple très utilisé pour illustrer les associations d’idées, et cela fait parfois rire (car les vaches ne boivent que de l’eau). Il nous est tout simplement difficile de dissocier lait et vache — les deux semblent naturellement aller ensemble. Pourtant, cette association n’a rien de naturel : elle est plutôt le fruit d’un construit social qui s’inscrit dans notre apprentissage du langage et de notre regard sur le monde.
Mais d’abord, en quoi est-ce erroné de penser que les termes vache et lait vont nécessairement ensemble ? Les vaches ne donnent-elles pas de lait ? Eh bien, pas vraiment. Premièrement, il faut se rappeler que les vaches ne produisent de lait que sous certaines conditions, notamment lorsqu’elles ont été inséminées et qu’elles ont donné naissance à un petit. Autrement, une vache pourrait passer toute son existence sans fournir une seule goutte de lait, et elle n’en serait pas moins une vache. Deuxièmement, le lait n’est pas propre aux vaches : en fait, il peut être produit par toutes les femelles d’espèces mammifères ayant un enfant. Et pourtant, dans notre imaginaire collectif, penser au mot « lait » nous fait immédiatement penser à la vache en particulier, et jamais au gorille ou à la chauve-souris. Si je vous avais demandé « que boit une girafe ? », cela m’aurait étonné que vous répondiez « du lait ! »; et il se peut même, comme moi avant d’écrire ces lignes, que vous n’ayez jamais imaginé une girafe en train d’allaiter. Pourquoi alors associer autant le lait à la vache et non à d’autres mammifères ? Parce que c’est généralement le lait de la vache que nous buvons. C’est le fruit d’une norme sociale, et non d’une propriété propre au concept lui-même.1
Le langage est un outil de communication qui est socialement normé. Ces normes peuvent être théorisées de plusieurs façons, mais l’on peut notamment se référer à la théorie du stéréotype, développée entre autres par Eleanor Rosch en sciences cognitives, ou encore à la théorie du prototype élaborée par Georges Kleiber en linguistique. Lire la suite