
Le livre du professeure qui m’a enseigné ce cours d’éthique de la procréation. Je m’inspire beaucoup de ses arguments contre les antinatalistes, bien qu’elle soit aussi critique des arguments évoqués en faveur de la procréation. Une lecture fascinante!
Série de billets en trois parties:
- Première partie: Le problème
- Deuxième partie: Les arguments
- Troisième partie: Les (pistes de) réponses et la bibliographie
Y’a-t-il une solution?
L’idée qu’il est toujours immoral d’avoir des enfants parait certainement contre-intuitive à la plupart d’entre nous. Cependant, le simple fait qu’une idée soit contre-intuitive n’est pas suffisant pour la disqualifier. Il faut plutôt pouvoir réfuter les arguments qui servaient à la fonder. Or, ceux-ci se basaient souvent sur des principes généralement admis (éviter le risque, ne pas causer du mal sous prétexte que l’on cause du bien, l’importance du consentement, l’absence de devoir de créer des vies heureuses mais avoir le devoir d’éviter les vies intrinsèquement malheureuses, etc.). Et il pourrait être encore plus contre-intuitif de laisser tomber ces principes!
Il faut donc pouvoir s’attaquer à ces arguments en eux-mêmes, montrer leurs limites ou offrir une théorie alternative. Je vais alors me risquer à avancer des réponses qui, je l’admets, pourront elles aussi s’avérer controversées. Je ne pourrai pas répondre à tous les arguments soulevés — et je vous invite d’ailleurs à poursuivre dans la section des commentaires — mais j’espère pouvoir lancer quelques pistes de solutions.
Juger le plaisir et la souffrance
D’abord, je propose d’aborder ce que je considère être des réponses insatisfaisantes au problème. Plusieurs sont tentés de répondre aux antinatalistes qu’ils ne comprennent pas le sens de la souffrance. Par exemple:
La souffrance est nécessaire à la vie et on ne peut pas chercher à l’éviter: Les antinatalistes en sont parfaitement conscients, et c’est pour cette raison qu’ils croient qu’il vaut mieux ne jamais venir au monde! Car il n’y a aucune obligation à mettre au monde de nouvelles vies.
Si on ne souffre pas, on ne peut pas apprécier les plaisirs et le bonheur: C’est sans doute vrai. Nos mauvaises expériences nous apprennent parfois à mieux apprécier le sens de la vie, ou même nous rendent plus résistants aux souffrances futures. Cependant, cela ne justifie pas encore la procréation pour autant. Premièrement, il y a lieu d’y craindre une pente glissante: est-ce que, sous prétexte que la souffrance nous enseigne des choses, il pourrait être justifié de causer du mal à quelqu’un ou de négliger ses besoins? Je ne le pense pas. Deuxièmement, même si les expériences souffrantes peuvent s’avérer utiles, nous n’essayons pas moins de les minimiser et de les éviter autant que possible.
On accepte parfois de passer à travers des expériences douloureuses dans le but d’atteindre quelque chose de positif: C’est bien vrai. En revanche, dans le cas de la procréation, il s’agit de la vie d’une autre personne. Même si, envers nous-mêmes, on accepte de subir certaines épreuves afin d’obtenir quelque chose de plus important, il est difficilement justifiable de soumettre les autres à des souffrances sous prétexte qu’ils vont gagner quelque chose de plus grand. Autrement dit, on ne joue pas avec la vie des autres (du moins sans leur consentement!).
D’autres seraient portés à dire que les antinatalistes sous-estiment, voire ignorent, l’importance pour certaines personnes d’avoir des enfants et de fonder une famille. Renier cette expérience de la vie constitue sans doute un tort envers les personnes qui désirent avoir des enfants, et en ce sens, il y a un problème moral à empêcher la réalisation de ce projet. En fait, plusieurs antinatalistes ont abordé ce point et reconnaissent son importance. En revanche, encore une fois, on ne peut pas justifier de soumettre une autre personne à des risques ou à des souffrances dans le but de satisfaire nos propres désirs. La question est donc de savoir s’il est légitime de créer des personnes qui vont subir du mal.
Les mécanismes psychologiques
Avant de répondre aux arguments natalistes, il convient de revenir sur leur conception de la vie. Comme la première partie de cette série le laissait entendre, les antinatalistes ont tendance à ne voir qu’un côté de la médaille: ils accordent beaucoup d’attention à la souffrance, et reconnaissent beaucoup moins l’importance des plaisirs et des accomplissements. De manière pessimiste, certains d’entre eux avancent alors que l’existence amène beaucoup (trop) de malheurs, et qu’à côté de cela, nous aurions raison, en quelque sorte, d’envier la non-existence. Mais est-ce si vrai? La vie nous condamne-elle à la souffrance?
Ironiquement, il semble qu’une partie de la réponse ait été offerte par l’un de ces cinq auteurs. David Benatar estime que toute vie humaine et animale contient beaucoup plus de malheur que de bonheur. Or, comment peut-il alors expliquer que la plupart d’entre nous considérons que notre vie vaut la peine d’être vécue? Comment faisons-nous pour nous tromper aussi régulièrement et aussi royalement? C’est que, selon Benatar (2006, 64-69), nous sommes dotés de mécanismes psychologiques qui nous empêchent de bien voir le mauvais côté des choses. Entre autres, nous sommes atteints de:
Le principe de Pollyanna, ou la tendance à l’optimisme: Malgré nos expériences négatives, on a tendance à rester optimistes pour le futur; de plus, nous nous rappelons davantage de nos belles expériences. On peut sans doute trouver de nombreux contre-exemples à ce principe, mais l’intérêt est que dans l’ensemble, on a un biais psychologique à accorder plus d’importance aux évènements positifs qu’aux évènements négatifs.
L’adaptation ou l’habituation: Lorsque nos désirs sont insatisfaits, on a tendance à les changer (ce qu’on appelle en philosophie les « préférences adaptatives »). On s’adapte même aux conditions difficiles et injustes, comme si elles étaient normales. Que ce soit un accident qui nous cause des dommages permanents, ou notre condition socio-économique qui chute, on finit par accepter notre nouvelle situation sans que ça affecte négativement notre bonheur à long terme. (Pareillement, on a aussi tendance à s’habituer aux bonnes choses et à en vouloir plus par la suite!)
La tendance à se comparer: Parce que les phénomènes négatifs qui surviennent dans notre vie sont également partagés par d’autres, et qu’on n’est donc pas les seuls à souffrir de ces choses, on a encore une fois tendance à relativiser notre malheur plutôt qu’à le voir pour ce qu’il est.
Selon Benatar, l’existence de tels mécanismes de défense signifie que notre vie va plus mal qu’on le pense. En d’autres mots, si on portait vraiment attention à ce qui nous arrive, on réaliserait alors que notre vie contient objectivement beaucoup plus de souffrance, de déception et de frustration que de plaisir. Et pourtant, j’ai envie de répondre le contraire: c’est peut-être grâce à de tels phénomènes psychologiques que notre vie vaut la peine d’être vécue, malgré tout le malheur qui peut nous arriver. C’est en fait un merveilleux atout que de pouvoir se remettre de nos mauvaises expériences, de nous adapter à notre condition et d’oeuvrer pour notre bonheur tout en gardant espoir.
Bien sûr, Benatar est d’accord que ces phénomènes rendent la vie moins misérable. Puisqu’on est en vie, il est d’avis que l’on doit en tirer le meilleur parti. Tant mieux si l’on s’imagine être heureux, dirait-il, même si ce n’est qu’une illusion de notre esprit. La nuance est que, selon lui, ces mécanismes illustrent que notre vie serait plus malheureuse que l’on croit, alors que pour ma part, ces mécanismes prouvent que nous sommes capables de passer par-dessus nos malheurs. Et en matière de bonheur, ce qui compte n’est-il pas notre propre appréciation subjective? (voir Overall 2012, 106-113)
L’approche institutionnelle
L’existence de ces mécanismes psychologiques, jumelée avec le fait que la plupart d’entre nous estimons que notre vie vaut la peine d’être vécue, suffit à nous autoriser à supposer qu’il en irait de même de nos enfants. Il y a de fortes chances que, si du malheur arrive dans leur vie, ils finiront par passer par-dessus et à bien apprécier le bon côté des choses malgré tout. Cela ne justifie évidemment pas que l’on cause du malheur aux autres sous prétexte qu’ils vont s’en remettre, mais cela permet tout de même de relativiser les risques qui peuvent survenir.
En même temps, il est important de prendre au sérieux les malheurs qui peuvent se produire et qui sont assez universels. Mais plutôt que d’avoir une approche de l’aversion absolue du risque (qui prescrirait de ne jamais avoir d’enfants), il faut plutôt s’attaquer aux causes de ces problèmes. Par analogie, supposons qu’une femme soit victime de harcèlement sexuel à son travail. La solution n’est pas de renvoyer cette femme, d’abolir son emploi ou de faire en sorte qu’il n’y ait plus de femmes qui soient engagées pour cet emploi: la solution consiste plutôt à cesser la cause de cet harcèlement et de créer de meilleures conditions de travail. (Overall 2012, 101) Ainsi, malgré les risques imposés par l’existence, la solution ne revient pas à cesser de mettre au monde des enfants, mais à oeuvrer à rendre leur vie meilleure.
Il y a donc une responsabilité collective à traiter les violences systémiques, les maladies, les accidents. Même les problèmes psychologiques personnels peuvent être pris en charge institutionnellement, que ce soit en offrant une meilleure qualité de vie à tous ou en rendant l’aide psychologique professionnelle beaucoup plus accessible et sans condition. Cette approche ne fera pas en sorte que la souffrance soit chose du passé (ce qui est impossible), mais elle permet au moins de prendre au sérieux les risques qui sont mis de l’avant par les antinatalistes. En effet, puisque mettre au monde un enfant expose celui-ci à des malheurs, nous sommes en un sens tous responsables de lui assurer une meilleure vie possible et de minimiser ces malheurs — en particulier les malheurs arbitraires, engendrés par les humains.
Revenir sur les arguments antinatalistes
Comme on le sait, ces mécanismes psychologiques et l’approche institutionnelle ne suffiront pas à soulager les antinatalistes de leur inquiétude. Il convient donc de revenir un peu plus en détails aux cinq arguments avancés contre la procréation en toutes circonstances. Je ne pourrai pas analyser avec rigueur chacun de ces arguments, car ils possèdent tous de nombreuses subtilités, mais j’espère pouvoir présenter une idée générale de contre-arguments.
Pour répondre à Benatar (qui mérite peut-être une place privilégiée étant donné qu’il a écrit un livre entier sur le sujet), revenons sur ses affirmations:
- (1) la présence de souffrance est une mauvaise chose.
- (2) la présence de plaisir est une bonne chose.
- (3) l’absence de souffrance est bonne, même si personne n’en bénéficie.
- (4) l’absence de plaisir n’est pas mauvaise, à moins qu’une personne existante en soit privée.
On peut être porté de répondre que (3) et (4) sont absurdes puisqu’il n’y a personne pour les subir ou en bénéficier. Quelque chose peut être bien ou mal uniquement en fonction de quelqu’un, et non bien ou mal tout court. (Overall 2012, 103-106) Malheureusement, je ne sais pas à quel point cette réponse est satisfaisante. Le principe de Benatar provient d’un raisonnement contrefactuel: ce serait bien d’éviter de la souffrance à une personne si cette personne était mise au monde. Il est bien, et pas seulement neutre, d’éviter des souffrances futures à des êtres qui pourraient venir au monde. Si on nie cela, alors il n’est plus bien, mais seulement neutre, de devenir végane: car en cessant de participer à l’exploitation animale, en réalité on ne sauve aucun animal réel, mais plutôt, on prévient la naissance d’animaux qui connaîtraient une existence malheureuse ou injuste. De la même manière, il serait neutre, et non bien, d’éviter de mettre au monde un enfant qui souffrirait toute son existence. Il est également difficile de rejeter (4), car cela impliquerait qu’il est mal de ne pas avoir d’enfants! (Il suffit de revoir les quatre exemples utilisés par Benatar.)
Qu’est-ce qui cloche, alors, dans l’argument de Benatar? Il me semble, en plus des autres points que je vais soulever plus bas, que son problème soit de comparer directement les affirmations (3) et (4), qui sont désincarnées ou concernent des personnes hypothétiques, avec (1) et (2), qui sont vécues par des personnes réelles. Ainsi, on ne peut pas dire que le scénario B ait un avantage absolu envers A, car cela dépend de l’intensité du bien et du mal vécu par ces personnes. En d’autres mots, bien que ce soit une bonne chose d’éviter des souffrances à des personnes hypothétiques, il peut être aussi bien (mais non moralement requis) que cette personne vienne au monde et vive des plaisirs si on a de fortes raisons de croire que cette personne sera heureuse. Et peut-être que ce bien de l’existence (2) peut être supérieur au bien d’éviter des souffrances (3). Cela n’impose pas pour autant que nous ayons un devoir de faire naître des enfants (s’ils sont heureux): cela implique seulement que la moralité de l’acte de procréation peut être jugé en fonction d’une comparaison entre (1) et (2), c’est-à-dire si l’on est capable de s’assurer raisonnablement que notre enfant sera suffisamment heureux. Après tout, le plaisir n’est pas seulement l’absence de souffrance, il peut avoir une valeur propre; en ce sens, ce plaisir peut dépasser la neutralité de (4).
Contre Fehige, on peut avancer qu’avoir des désirs non satisfaits n’est pas nécessairement mal, du moins dans certains cas. (Overall 2012, 110) Au contraire, bien souvent, la quête vers la satisfaction de nos désirs est aussi, voire parfois plus, appréciable que la satisfaction elle-même. Cela peut autant participer à notre plaisir d’être en vie et à notre épanouissement. On a même certaines raisons de croire que la personne qui, aussitôt qu’elle éprouve un désir, voit celui-ci réalisé, n’aurait pas une existence bien remplie et satisfaisante. Enfin, la satisfaction de certains désirs très intenses peuvent apporter un si grand bien que cela compense pour tous nos désirs insatisfaits.
Contre Shiffrin, bien que j’admette qu’il est moralement douteux de causer du mal à quelqu’un sous prétexte qu’il aura aussi du bien, je ne crois pas que mettre au monde quelqu’un soit analogue à lui causer du mal. Plutôt, cela crée la possibilité que tout puisse arriver, autant du bien que du mal. Sans l’existence, aucun bien n’est possible. Et autant on peut être assuré que du mal surviendra, on a aussi des bonnes raisons de croire que du bien arrivera et on a l’obligation de s’assurer que du bien survienne. Lorsqu’on met au monde un enfant, on n’est pas responsable de tout ce qui lui arrive par la suite (même si on en est causalement responsable), mais on a la responsabilité de veiller à ce que cet enfant soit heureux. Certes, il y a des risques (et des fortes probabilités de souffrance). Mais si on a une attitude de prohibition absolue du risque, on perd également tous les gains. (Overall 2012, 101-103) Aucun gain n’est possible sans un minimum de risques. À mon avis, l’idée ne serait donc pas de minimiser les risques à zéro au point de tout perdre, mais plutôt de savoir comment, considérant qu’il y a de belles choses qui peuvent se produire lorsqu’on vit, peut-on minimiser ces risques tout en jouissant de la vie. Encore une fois, cela ne nous oblige pas à avoir des enfants, mais cela peut nous autoriser à en avoir si on peut s’assurer que l’enfant jouira de sa vie.
Contre Licon, celui-ci admettait qu’il n’est pas nécessaire d’exiger le consentement de quelqu’un qui n’a pas les facultés de consentir, à condition qu’on veille à ses meilleurs intérêts. Le vrai argument de Licon reposait plutôt sur l’idée qu’un être non existant n’a pas d’intérêts et qu’on ne peut alors pas lui imposer les risques de venir au monde sous prétexte que cela s’accorde avec ses intérêts. Il suffit de répliquer que dans ce cas, il n’est pas non plus mal en soi de donner l’existence à cet être, car il ne va pas contre les intérêts d’un être non existant d’acquérir l’existence (puisqu’il n’a pas d’intérêts en tant que non existant!). Le cas où il peut être mal de créer quelqu’un serait, par exemple, si sa vie sera malheureuse: si, en acquérant la faculté d’avoir des intérêts, ses intérêts ne sont pas servis. Ensuite, en ce qui concerne les risques, la réponse servie à Shiffrin peut être rappelée ici.
Enfin, à propos de Haÿry, j’avoue que je ne sais pas encore quoi répondre. J’ai tendance à trouver que le principe du maximin est assez important dans plusieurs problèmes éthiques et philosophiques. Il est préoccupant, aussi, qu’il y ait des gens qui auraient préféré ne jamais exister. Par contre, cela signifie-t-il qu’il est mal que tous ces autres gens heureux viennent au monde? Augmenter le minimum doit-il nécessairement passer par la non-procréation, ou ne devrait-il pas plutôt être abordé en améliorant le sort de tous, et en particulier des plus démunis? Peut-être que l’approche institutionnelle peut s’avérer utile ici. En revanche, le problème est qu’il y aura toujours des personnes qui resteront malheureuses. Mais les parents sont-ils moralement responsables de cette situation? Je ne pense pas.
Peut-on quand même avoir des enfants?
Certains pourraient continuer de penser qu’il est toujours immoral d’avoir des enfants, ou d’autres pourraient être d’accord avec ma conclusion mais sans adhérer à mes arguments. Sans doute que la plupart continuent de penser que la procréation ne représente pas un problème moral, et qu’on n’a pas à se sentir mal de mettre au monde des enfants.
J’ai écrit cet article dans l’espoir de pouvoir au moins semer le doute sur ces questions. On voit trop souvent la procréation comme étant naturelle, comme allant de soi, alors qu’il s’agit d’une question fondamentale ayant de lourdes conséquences. Le fardeau de la preuve ne devrait-il pas être renversé, comme le suggère Christine Overall (2012)? Étant donné tout ce qu’implique l’acte d’avoir des enfants, ne devrait-on pas initier une réflexion sur son sens et sa justification? Même si les arguments antinatalistes ne vous convainquent pas — comme ils ne m’ont pas convaincu —, j’espère avoir montré qu’ils savent tout de même bousculer des idées que l’on croyait acquises.
Même si l’on peut expliquer qu’il n’est pas immoral en soi d’avoir des enfants, cela ne signifie pas qu’il soit toujours acceptable d’en avoir. Plus particulièrement, il semble y avoir un énorme problème moral étant donné les circonstances du monde actuel. Comme je l’écrivais au début de la première partie, la crise environnementale s’aggrave sans cesse, et inclure des personnes dans notre mode de vie occidental ne fait qu’alourdir l’empreinte environnementale de notre civilisation et par conséquent gonfler la dette (écologique et sociale) que nous léguons aux futures générations. Par ailleurs, il existe aussi de nombreux enfants en attente d’adoption — pourquoi privilégier de mettre au monde de nouvelles personnes alors que tant d’autres ont déjà besoin d’aide? Peut-on vraiment rendre service et à notre enfant, et au reste de la population, en ayant des enfants dans ces circonstances?
Beaucoup d’autres questions d’éthique de la procréation
Pour ceux que ça intéresse, mon séminaire sur l’éthique de la procréation nous a fait pencher sur une série de problèmes philosophiques et éthiques, et la question antinataliste n’en était qu’une parmi d’autres. Nous nous sommes également demandé:
- Y’a-t-il de bonnes (et de mauvaises) raisons pour procréer?
- Peut-il y avoir une obligation morale à procréer?
- Que peut-on apprendre (au sens philosophique) des expériences de la grossesse et de l’accouchement?
- Est-ce que Julian Savulescu a raison d’affirmer que les êtres humains ont un devoir moral d’avoir les enfants les plus heureux possibles en faisant usage de la sélection génétique? (principe de bienfaisance procréative)
- Jusqu’à quel point les gens sont responsables de leurs gamètes et de leur comportement reproductif?
- Est-ce que notre engagement moral à ajouter du bien en ce monde nous impose d’engendrer le plus d’enfants possibles? (Le problème de la conclusion répugnante de Derek Parfit)
- Est-il impossible de causer du mal à un enfant futur si, sans ce mal, cet enfant ne serait jamais venu au monde? (Le problème de non-identité de Derek Parfit)
- Est-ce que tous ceux qui veulent avoir des enfants devraient obtenir un permis pour le faire?
- Est-il acceptable moralement que ceux qui veulent des enfants sélectionnent, au moyen de la technologie, des traits de leurs futurs enfants (incluant le sexe biologique)?
- Quel est le statut moral du contrat des mères porteuses?
- Est-ce que l’ectogénèse (la grossesse intégrale dans un utérus artificiel) serait une mauvaise chose?
Bibliographie
- Benatar, David (2006). Better Never to Have Been: The Harm of Coming into Existence. Oxford: Clarendon Press.
- Fehige, Christoph (1998). « A Pareto Principle for Possible People ». In Preferences, 509‑43.
- Häyry, Matti (2004). « A Rational Cure for Prereproductive Stress Syndrome ». Journal of Medical Ethics 30 (4): 377‑378.
- Licon, Jimmy Alfonso (2012). « The Immorality of Procreation ». THINK 11 (32): 85‑91.
-
Nozick, Robert (1977). Anarchy, State, and Utopia. New York: Basic Books.
-
Overall, Christine (2012). Why Have Children? The Ethical Debate. Cambridge: MIT Press.
- Shiffrin, Seana (1999). « Wrongful Life, Procreative Responsibility, and the Significance of Harm ». Legal Theory 5: 117‑148.
- Young, Thomas (2001). « Overconsumption and Procreation: Are They Morally Equivalent? » Journal of Applied Philosophy 18 (2): 183‑92.
On ne peut qu’être d’accord avec l’idée de rendre meilleure la vie des gens, mais les limites de l’approche institutionnelle comme défense de la procréation me semblent être que 1) Si on laisse de côté la recommandation antinataliste, nous n’avons qu’un contrôle limité sur de nombreux maux qui frappent les être humains (accidents, maladies, catastrophes naturelles, etc.); et 2) Même pour ce qui est des maux auxquels une solution institutionnelle est en principe possible, il ne serait pas réaliste de vouloir les abolir du jour au lendemain. Quels que soient nos efforts, il nous faudra hélas sans doute de nombreuses années avant de pouvoir libérer complètement l’humanité des attentats terroristes, des agressions sexuelles, etc. Tant que ces fléaux persisteront, un anti-nataliste pourra accuser des parents futurs d’exposer leurs enfants à ces dangers.
Bien sûr, d’un point de vue pragmatique la recommandation antinataliste ne sera sans doute jamais largement adoptée, donc la solution institutionnelle reste indispensable.
Merci pour cette belle synthèse.
Je m’interroge sur le fait que la question de l’instinct n’y soit pas présente.
Suite à plusieurs discussions avec des parents, je me suis aperçu que beaucoup ont conscience de l’aspect égoïste de la reproduction sans que cela les contraigne cependant à y renoncer.
ll s’agirait ainsi avant tout de satisfaire un désir personnel, de créer un être à protéger, à qui transmettre du savoir, un être à faire grandir.
La question qui me vient alors est la suivante: peut-on juger de la moralité de la satisfaction d’un besoin primaire?
Il est vrai que je n’ai pas abordé la question de l’instinct. C’est que je ne crois pas que l’instinct en soi ne justifie quoi que ce soit, ni comme un désir personnel ou un prétendu «besoin primaire». Il est facile de trouver des besoins primaires qui n’ont pas de fondement moral aussitôt qu’ils empiètent sur les intérêts d’autrui, par exemple en ce qui concerne la violence ou de bafouer le consentement d’une autre personne. Il suffit de penser à la consommation de produits animaux, par exemple.
Donc oui, j’estime que les besoins primaires et les instincts peuvent être jugés moralement au même titre que le reste — nous devons répondre de nos actes et intentions!
J’ai aussi écrit un texte qui porte vaguement sur ce sujet: Pourquoi ne pas (toujours) se fier à ses intuitions.