Donner des cadeaux: pour qui et pour quoi?

The Life You Can Save - The Pledge

Après avoir lu Sauver une vie de Peter Singer il y a six ou sept ans, j’ai pris la résolution de ne plus participer à la tradition d’offrir des cadeaux durant le temps des fêtes. À la place, j’offre en dons à des organismes l’équivalent que j’aurais dépensé en cadeaux pour mes proches, et je demande à mon entourage d’en faire autant au lieu de dépenser de l’argent pour mes cadeaux. La raison m’apparait fort simple: non seulement bien des choses peuvent nous faire plus plaisir que des cadeaux, mais nous dépensons trop en futilités alors que ces mêmes ressources pourraient radicalement améliorer le sort de nombreuses personnes dans le monde.

Singer - Sauver une vie

Même si mon geste a été la plupart du temps bien accueilli dans ma famille, je rencontre encore des gens qui restent perplexes, ou encore, qui sont intéressés par l’idée mais qui craignent les réactions de leurs proches. Un ami m’a donc invité à écrire sur le sujet, ce que j’ai décidé de faire malgré que ma suggestion tombe sans doute trop tard pour ce Noël 2014. Mais c’est un sujet important, qui sera utile en tout temps.

Je propose ici de discuter des raisons pour faire des dons plutôt que d’offrir des cadeaux, je propose quelques organismes et références, je me penche sur quelques réactions que notre entourage peut avoir, et je soulève d’autres raisons pour remettre en question la tradition de remettre des cadeaux. Et j’en profite pour vous souhaiter de Joyeuses Fêtes!

Donner à ceux et celles qui en ont le plus besoin

Sur ma page concernant l’aide humanitaire, j’ai déjà soulevé différentes raisons de se préoccuper de la pauvreté absolue et j’ai relevé quelques statistiques saisissantes sur le sujet, mais il est toujours important de revenir sur ce problème très préoccupant. La pauvreté absolue représente le fait d’avoir moins de 1$ (en pouvoir d’achat local) par jour et elle s’avère beaucoup plus répandue qu’on le pense. Les inégalités socio-économiques sont effectivement criantes et excessives en ce monde, comme on peut le voir dans cette représentation de la distribution de la richesse:

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Pour voir le problème autrement, voici des données d’un rapport datant de 2008:

  • 2,5 milliards d’êtres humains vivent avec moins de 2$ par jour.
  • 1,4 milliards d’êtres humains vivent avec moins de 1,25$ par jour.
  • Plus d’un milliard d’êtres humains n’ont pas accès à de l’eau potable.
  • Plus de 800 millions d’êtres humains vont au lit le ventre vide chaque jour.
  • Plus de 6 millions d’enfants par année meurent de maladie que l’on pourrait facilement traiter.
  • Plus de 100 millions d’enfants n’ont pas accès à une éducation de base.

Pour ces raisons et de nombreuses autres, nous pouvons comprendre que nous avons un devoir de contribuer à réparer ces inégalités. Nous qui vivons dans les sociétés les plus riches du monde, nous avons les moyens de faire notre part individuelle pour sauver des vies (car des gens meurent tous les jours de pauvreté) et grandement améliorer leur qualité de vie. Donner une partie de nos revenus ne devrait même pas paraître comme un sacrifice, car à la base, il est arbitraire que nous soyons nés dans un pays riche avec de grandes opportunités — nous n’avons pas davantage mérité notre position sociale que ceux vivant dans la pauvreté absolue (et autres formes de pauvreté) l’ont méritée.

Je recommande habituellement de faire des dons réguliers et automatiques (comme des dons mensuels) plutôt que des dons ponctuels et spontanés afin que les organisations puissent mieux planifier leurs projets. Néanmoins, comme le temps des fêtes représente une occasion pour dépenser une grande somme d’argent, et comme ces personnes vivant dans la pauvreté ont beaucoup plus besoin d’aide que mes proches ont besoin de recevoir de cadeaux, j’estime qu’il vaut mieux faire des dons à des organismes humanitaires plutôt que de donner des cadeaux. Et pour que mon geste ait plus d’impact, je signifie à mes proches quel montant j’ai offert et à quels organismes j’ai donné, en espérant les sensibiliser à ce sujet par le fait même.

Mon choix s’arrête généralement sur Vegfam, car il s’agit d’un des seuls organismes qui vient en aide à des populations défavorisées sans pour autant exploiter d’animaux.

Vegfam

Si vous voulez plus de choix, The Life You Can Save (fondé par Peter Singer) a mis à jour sa liste de recommandations d’organismes combattant la pauvreté absolue. Voici 15 organismes dont l’efficacité a été démontrée et qui manquent de financement:

Life You Can Save - suggestions pour 2015

  • Voir aussi les suggestions de Give Well, un organisme qui évalue l’efficacité et la transparence des autres organismes.

Est-ce la bonne approche?

Dans son livre Sauver une vie, Peter Singer répond à plusieurs objections contre le don individuel. Je n’entrerai pas dans les détails ici et je préfère vous convier à le lire, mais deux me paraissent plus pertinentes ici.

Premièrement, certains répondront toutefois que tout cela est bien beau, mais irréaliste: ce qu’il faut n’est pas la charité provenant d’actes individuels, mais plutôt des changements institutionnels provenant notamment des gouvernements. Si la pauvreté absolue existe, c’est parce qu’elle est créée et tolérée par l’ensemble des communautés internationales. Je suis en bonne partie d’accord, mais je ne comprends pourquoi, en attendant que nos gouvernements agissent, nous devrions demeurer immobiles. En ce moment même, des gens souffrent et meurent de notre inaction collective, et si nous avons les moyens, en tant qu’individus, de les aider ne serait-ce qu’un peu (ou une infime fraction d’entre eux), il me semble que cette objection sert davantage d’alibi pour ne rien faire. Changer les institutions et agir individuellement ne m’apparaissent pas incompatibles, ici.

Deuxièmement, d’autres prétendent que les causes locales sont plus importantes que les causes lointaines, ou du moins que nous avons une plus grande responsabilité envers les membres de notre propre société. Si vous pensez cela, rien ne vous empêche de convertir vos cadeaux en dons quand même, à la différence que vous pourriez aborder des organismes oeuvrant pour le bien de votre société.

L’essentiel est de choisir une cause, ou des causes, qui nous tiennent à coeur! Cela sensibilise notre entourage au sujet de ces nombreuses causes qui méritent notre attention. Cela démontre aussi que le don caritatif est facile et doit être encouragé et que, si nous avons les moyens d’aider, c’est que nous jouissons déjà une situation privilégiée. Personnellement, je trouve important de comprendre la chance que j’ai eue et de tenter de faire de mon mieux pour pallier ces injustices.

La psychologie du cadeau

La symbolique de donner des cadeaux varie d’une culture à l’autre et je ne veux en aucun cas me prétendre spécialiste sur le sujet. Néanmoins, mon expérience m’a fait remarquer des traits surprenants sur l’importance sociale de ce geste.

La remarque la plus frappante est que ça entraîne parfois des déceptions chez mes proches. Il est vrai qu’on aime recevoir des cadeaux de la part de ceux qu’on aime, et le cadeau symbolise cette affection. Mais ne pas donner de cadeaux ne nie pas cette affection — il semble même dommage que celle-ci repose sur ce geste.

Et il existe de nombreuses autres façons d’exprimer notre attachement pour une personne et faire plaisir à notre entourage. On oublie que ne pas donner de cadeaux comme d’habitude ne signifie pas que l’on ne peut rien offrir au sens large. Pourquoi ne pas cuisiner des recettes végétaliennes du temps des fêtes? Ou pourquoi ne pas prendre le temps d’écrire une lettre ou une carte dédiée à la personne que l’on apprécie? Il existe même des guides de cadeaux et d’activités sans achats, comme celle-ci proposée par une blogueuse d’Équiterre. Pour ma part, j’ai toujours vu Noël davantage comme une occasion de s’offrir du temps de qualité avec des gens que l’on apprécie, prendre des moments pour jouer à des jeux, prendre des marches en groupe, chanter et danser, plutôt que d’échanger des biens matériels. Je suis sûr que la plupart des gens le voient également ainsi lorsqu’on leur demande. Ce n’est pas en enlevant la tradition d’offrir des cadeaux que le reste perd de sa valeur! Alors, pourquoi ne pas profiter de cette idée de non-cadeaux pour mieux valoriser l’essentiel?

Est-ce quand même égoïste de refuser de donner des cadeaux à autrui? Pourtant, je donne bel et bien des cadeaux, à la différence que ceux-ci sont envoyés à ceux et celles qui en ont réellement besoin. Et je ne le fais pas pour me vanter ni pour me sentir bien (mais tant mieux si on se sent bien en donnant), mais plutôt parce que j’estime que nous avons un devoir moral de le faire. Au lieu de participer aux excès capitalistes de Noël, j’aime mieux faire un geste qui aiderait effectivement des personnes en difficulté. Qu’est-ce qu’il y a d’égoïste là-dedans? Il arrive même que lorsque j’explique les motivations de mon geste, les gens partagent mon sentiment. Plusieurs personnes aiment l’idée qu’elles ont contribué, via mon don, à aider des personnes dans le besoin. Mes proches ont également l’occasion de bien se sentir en faisant un don plutôt qu’en m’offrant un présent — et ils savent qu’ils me feront grandement plaisir par le fait même. N’est-ce pas là le but d’offrir un cadeau, à l’origine?

Le but de l’exercice n’est pas de culpabiliser les gens ou de laisser entendre qu’on ne souhaite rien de leur part. Certaines personnes insistent même pour m’offrir quelque chose, et je ne voudrais pas que mon principe fasse de la peine à ceux que j’aime. J’essaie alors de proposer des choses simples, comme des recettes à m’offrir ou des activités que l’on pourrait faire ensemble, tout en prenant le temps d’expliquer que j’ai besoin de peu pour être heureux. Et il m’arrive aussi de faire des exceptions par des cadeaux très simples, tant que je ne néglige pas d’offrir un montant substantiel à des organismes.

Il existe malgré tout une autre réaction à gérer: certains pensent que même si le geste est beau, il est exagéré puisque nous avons déjà peu d’argent. En effet, même s’ils gagnent significativement plus que ceux des pays défavorisés, la plupart des foyers occidentaux sont effectivement endettés. Pourtant, ce que je propose ici n’est pas de dépenser davantage, mais de remplacer les cadeaux par des dons. Sinon, si vous croyez que ma proposition en demande trop, vous pouvez consacrer une bonne partie de votre budget de cadeau sous forme de dons. Nous en avons les moyens: au Canada, les familles dépensent en moyenne de 1400$ à 1800$ selon les années, alors qu’aux États-Unis ce chiffre varie de $600 à $850 par personne en moyenne, de £800 en Grande-Bretagne et de 500€ en France. Manque-t-on vraiment de moyens pour aider ceux et celles qui ont moins de 1$ par jour? Si nous avons déjà l’habitude d’acheter des cadeaux (du moins à partir d’un certain montant), la réponse est oui.

Autres raisons pour ne pas offrir de cadeaux

Éviter le stress. Magasiner des organismes de charité plutôt que des cadeaux nous épargne du stress de trouver quoi acheter pour chaque personne, d’affronter l’achalandage des magasins et des rencontres avec des clients et commis impatients. Il est tout de même curieux que le temps des fêtes soit l’une des périodes les plus stressantes l’année alors qu’elle est censée nous reposer. Je préfère ainsi m’épargner de ce fardeau et j’espère libérer mes proches de ce même stress.

Diminuer nos attentes. Avec la tradition des cadeaux, on finit toujours par développer des attentes. Il y a une part saine d’excitation dans cette attente, mais elle comporte aussi son lot de déceptions, sans compter le fait qu’on reçoit trop souvent des objets qu’on ne voulait pas et qu’on n’aurait jamais achetés. Tant qu’à avoir des attentes pour le temps des fêtes, j’aime mieux anticiper d’avoir du plaisir tout court avec mes proches, et non pas m’attendre à des biens de leur part, comme s’ils m’étaient dus.

Éviter l’accumulation et le gaspillage. Ayant déménagé plusieurs fois ces dernières années, j’ai pu prendre conscience du phénomène d’accumulation. Je ne suis pas une personne qui achète beaucoup de biens matériels, et pourtant, je m’étais retrouvé avec une quantité d’objets dont je ne me servais jamais. Il s’agissait surtout de cadeaux que j’avais reçus, mais aussi d’achats impulsifs que j’avais faits.

Ne pas entretenir la surconsommation.Il s’agit sans doute de la raison la plus importante étant donné que cela affecte autrui. La surconsommation comporte deux aspects: l’impact environnemental et la question des droits humains. D’un côté, le fait de produire autant et de consommer autant de trucs, et à plus forte raison des objets dont nous nous servirons peu, n’a rien de durable. D’un autre côté, la plupart des objets que nous achetons proviennent de pays où les conditions de travail sont horribles. Même si les économistes ne s’entendent pas encore au sujet de la valeur des ateliers de misère pour le développement des pays et pour le bien des travailleurs et travailleuses (voir par exemple ce billet de Ianik Marcil et celui de Michelle Monette), on peut s’entendre que ces conditions sont à décrier et que nous devrions mettre en place d’autres systèmes de développement international. En attendant, à défaut de pouvoir encourager des modèles plus respectueux des droits humains, on sait au moins que certaines formes de dons humanitaires peuvent avoir un impact très positif dans la vie de millions de personnes.

Mais au nom de ces travailleurs et travailleuses anonymes qui souffrent actuellement et à longueur d’année dans ces usines de production, il convient de se renseigner un peu:


Comme je le disais, mon geste passe généralement bien et je suis content de l’instaurer année après année. En fait, il fonctionne tellement bien qu’il a inspiré plusieurs de mes proches à en faire autant! Je vous assure, même si les gens sont surpris la première fois, la plupart finissent par très bien l’accepter les fois suivantes.

Sur ce, je vous souhaite de passer un bon temps des fêtes sans exploitation animale et de vous centrer sur l’essentiel avec des gens que vous aimez!