Le deuil ne connait pas la distinction selon l’espèce

Mymosa (≈ 21 septembre 1998 - 24 octobre 2014)

Mymosa (≈ 21 septembre 1998 – 24 octobre 2014)

Je voulais écrire depuis un certain temps au sujet du deuil que nous pouvons éprouver lorsqu’un compagnon non humain nous quitte. Puisque nous vivons dans une société spéciste, ces expériences se voient bien souvent refoulées par peur que nous soyons jugés ou que notre sentiment demeure tout simplement incompris par notre entourage. En plus de cela, ces derniers temps, quelques uns de mes amis proches ont perdu un être cher, ce qui m’amène à réfléchir davantage à la question. Au mois de juin, mon amie Sophy a connu le deuil de sa chatte gériatrique de 19 ans, la fameuse Po, célèbre pour sa page Facebook (aujourd’hui consacrée à la Fondation Po, dévouée à trouver des foyers à des animaux abandonnés) et ses légendaires « broulx ». Cette expérience fut marquante pour Sophy qui en a livré un touchant récit sur son blogue. Il y a aussi mon autre amie Sophie, qui travaille depuis de nombreuses années avec des animaux de compagnie, qui a dû dire au revoir à son chien Kali il y a deux ans et à son chat Khéops il y a quelques mois. À l’automne dernier, mon amie Zipporah a perdu son chat et meilleur ami Finnegan suite à un accident tragique. Enfin, mon amie Marie-Claude a également retrouvé son chat Moustache, qui n’avait que quatre ans, mort dans des circonstances inexplicables. Et comme je connaissais personnellement tous ces animaux qui nous ont quitté, j’ai moi-même vécu un certain deuil à chaque fois.

Aujourd’hui, c’est à mon tour de faire mes adieux à Mymosa, la chatte que j’ai adoptée il y a seize ans avec ma mère et avec qui j’ai passé mon adolescence. Je souhaite ici livrer un témoignage personnel sur cet être qui a partagé plus de la moitié de ma vie et j’en profite pour avancer quelques réflexions sur le deuil et la mort. Par le fait même, j’espère honorer la mémoire de tous ces non-humains qui ont traversé nos vies en laissant de belles marques sur nous. Lire la suite

Abolition de l’exploitation ou abolition de la domestication?

francione and garner - abolition or regulation

Améliorer les conditions d’élevage ou abolir l’élevage?

Le mouvement de défense animale est divisé par deux courants opposés : le réformisme (ou le mouvement pour le bien-être animal) et l’abolitionnisme. Alors que le premier travaille à la régulation de l’exploitation animale (dans l’optique de diminuer la souffrance infligée) sans remettre en cause la légitimité même de l’exploitation, le second revendique sans nuance son abolition pure et simple, sous toutes ses formes. Il existe aussi une troisième voie appelée le néo-welfarisme par ses opposants, mais qui pourrait aussi être appelée le gradualisme ou l’abolitionnisme réformiste. Cette dernière estime que l’abolition totale de l’exploitation animale constitue l’objectif ultime, mais qu’entre-temps des campagnes de régulation pour améliorer les conditions d’élevage sont légitimes, voire souhaitables, et que cette régulation est compatible avec l’objectif d’abolir à terme l’exploitation.

L’approche abolitionniste, inspirée largement par les travaux du professeur de droit et philosophe Gary Francione, demeure très critique envers les mesures réformistes. Je n’expliquerai pas en détails ici les raisons qui l’amènent à penser ainsi (vous pouvez par contre consulter ce billet sur son blogue ou lire le livre illustré ci-dessus), mais elles peuvent se résumer en ces deux points : réformer les conditions d’élevage rassure les consommateurs, qui sont alors moins portés à se demander si l’exploitation animale est justifiable, et les campagnes réformistes détournent des ressources qui pourraient être mieux utilisées pour revendiquer directement le véganisme et l’abolition de l’exploitation animale.

À ceux qui estiment que l’abolition est utopique, les partisans de l’approche abolitionniste répondent que cesser de faire souffrir les animaux tout en les exploitant est encore plus irréaliste, d’autant plus si on tient compte des intérêts économiques en jeu. Plutôt que d’encourager les consommateurs à se tourner vers des formes d’exploitation qui demeurent injustes et extrêmement cruelles, on peut plutôt les inviter à devenir végétaliens. Les résistances à ces changements sont davantage psychologiques et ces barrières peuvent tranquillement tomber au fur et à mesure que les gens sont mis devant le fait que le végétalisme est accessible. L’abolition de l’esclavage humain paraissait elle aussi utopique lorsque les pionniers du mouvement commençaient à la revendiquer mais, heureusement, l’utopie d’une génération peut devenir le sens commun de la suivante. Et aujourd’hui, on continue à se battre pour l’égalité entre les hommes et les femmes, et même si cet idéal demeure utopique, cela ne devrait pas nous empêcher de militer pour atteindre cet idéal.

Ce qui peut paraître surprenant est que l’approche abolitionniste s’applique également à la pratique d’avoir des animaux de compagnie, car cela n’est pas plus justifiable que les autres formes d’exploitation. En effet, les animaux de compagnie sont tout autant considérés comme des biens meubles que l’on adopte pour satisfaire nos plaisirs, ce qui s’apparente dangereusement à l’esclavagisme. En réalité, l’approche abolitionniste revendique l’extinction de toutes les espèces domestiquées : il faut prendre soin des animaux domestiqués restants (en les adoptant des refuges, par exemple), les laisser vivre une belle vie parmi nous, mais il faut à tout prix les stériliser afin de prévenir que de nouveaux animaux domestiqués viennent au monde. Abolir l’exploitation est insuffisant, car il faut aussi abolir la domestication au grand complet (car toute domestication est, de ce point de vue, de l’exploitation).

Est-ce juste? Faut-il abolir à terme le fait même de vivre avec des animaux dans nos sociétés? Y’a-t-il une alternative moralement acceptable à l’extinction des animaux de compagnie? Une nouvelle théorie de la justice animale avance qu’il peut être justifié, voire moralement souhaitable, de conserver les animaux domestiqués dans nos sociétés, mais à condition que nous leur octroyons le statut de citoyens. Lire la suite