Trois épisodes pour le balado Comme un poisson dans l’eau

J’ai eu le plaisir d’être invité au merveilleux balado Comme un poisson dans l’eau animé par Victor Duran-Le Peuch. Nous avons discuté pendant trois belles heures, ce qui a permis à Victor de monter trois épisodes: sur la théorie de la citoyenneté animale, sur les liens entre spécisme et capacitisme et enfin sur mes propres recherches doctorales sur le droit à l’autonomie. Ce n’est pas tous les jours qu’on a l’occasion de parler aussi longuement de philosophie et je suis assez fier du résultat!

Première partie: Zoopolis

image de couverture du premier épisode qui s'intitule Zoopolis le droit de vote aux poules, pour le balado Comme un poisson dans l'eau
Sur l’image : je suis avec Nora (si je me souviens bien de son nom), chien que je n’ai rencontré qu’une fois mais qui figure maintenant sur plusieurs de mes images de profil 😍

Parution : 29 janvier 2025
Durée : 1h03m49
Description : La semaine prochaine, l’ouvrage Zoopolis, co-écrit par Sue Donaldson et Will Kymlicka, sera (enfin) réédité aux éditions Hermann! Ce livre est un classique de la pensée antispéciste, un tournant majeur dans la recherche et, je pense, dans le mouvement pour les droits des animaux. Il ne se contente pas de dénoncer l’exploitation animale: il ouvre un véritable programme politique et théorique pour construire une société plus juste et inclusive avec les autres animaux.

Parce qu’abolir l’exploitation ne suffira pas. C’est une condition minimale, mais ensuite, une foule de questions se posent : comment réparer les torts causés ? Comment vivre ensemble dans une société interespèces? Comment partager l’espace, distribuer équitablement les ressources, résoudre les conflits d’intérêts qui émergeront inévitablement?

Pour explorer ces enjeux passionnants, je reçois Frédéric Côté-Boudreau, enseignant en philosophie au Québec, chercheur postdoctoral, et auteur d’une thèse sur « L’autonomie inclusive : une théorie de la liberté pour toutes et tous », dirigée par Will Kymlicka (co-auteur de Zoopolis).

C’est un entretien que je rêvais d’enregistrer depuis… avant même de lancer ce podcast! Autant dire que je suis ravi de vous le partager aujourd’hui. J’espère que vous l’écouterez avec attention et que vous n’hésiterez pas à le diffuser largement : ces idées méritent vraiment d’être connues.

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Vers un monde végane (1): faciliter la transition sociale

Je fais partie d’un mouvement social qui milite pour l’égalité animale, ce qui implique l’abolition de l’exploitation des animaux et de toutes formes de domination à leur égard. Cet idéal parait bien utopique et absurde à la plupart de mes contemporains, et pourtant, ce mouvement continue de grandir mondialement. Arriverons-nous un jour à véganiser la société?

J’entame donc une série de billets portant sur le projet de créer un monde végane qui reconnaitrait les animaux en tant qu’égaux des humains. Quels sont les obstacles que nous pourrions rencontrer? Quelles seraient les transformations que nos sociétés devront opérer? De quoi aurait l’air une société végane et antispéciste? Est-ce seulement un projet réaliste? À raison d’environ un texte par mois, j’aborderai les thèmes suivants:

  1. la transition sociale
  2. la représentation artistique et politique
  3. les défis économiques
  4. le rapport à la nature
  5. la médecine
  6. les relations internationales et interculturelles.

Pour commencer, et sans prétendre à l’exhaustivité, je lance ici quelques idées de base qui faciliteraient la transition sociale vers le véganisme. J’explique premièrement que la taille d’un mouvement n’est pas en soi un obstacle au succès politique de celui-ci; deuxièmement, je soutiens qu’un mouvement végane fort, bien qu’insuffisant, est important si l’on veut abolir l’exploitation animale; troisièmement, j’énumère des façons de diversifier le véganisme et je rappelle la nécessité d’inclure différents groupes sociaux; et enfin, j’aborde la question difficile de la résistance à la véganisation de la société.

Le nombre ne fait pas la force (du moins au début)

Qu’on me comprenne bien: je ne prétends aucunement que le projet d’abolir l’exploitation animale soit déjà gagné. De toute façon, je ne crois tout simplement pas au déterminisme historique. Au contraire, je pense que tous les acquis sociaux et politiques peuvent s’effondrer très facilement, à la moindre instabilité politique ou économique. S’il y a bien une chose que l’Histoire nous enseigne, c’est qu’il ne faut jamais tenir nos droits pour acquis. Et comme les animaux non humains représentent sans doute la classe sociale la plus vulnérable d’entre toutes, étant incapables de s’organiser pour résister ni de témoigner en notre langage des injustices qu’ils subissent, leur situation est condamnée à demeurer particulièrement précaire.

En revanche, il n’y a pas de raison de se priver de rêver, car l’égalité animale demeure un projet possible et réalisable, d’autant plus qu’il est solidement appuyé par de nombreux arguments moraux. Qui plus est, il semble actuellement prendre de l’ampleur. À l’ère d’Internet et des réseaux sociaux, les véganes isolés peuvent mieux communiquer et s’allier, l’information circule beaucoup plus facilement (incluant des tonnes de recettes et d’informations nutritionnelles au bout de quelques clics), les débats s’activent un peu partout et les organisations de défense animale s’organisent de mieux en mieux et se font entendre de manière encore plus grande.

Il ne faut pas oublier qu’historiquement, les mouvements sociaux ont souvent commencé de manière modeste. Comme l’aurait dit Margaret Mead, « ne doutez jamais qu’un petit groupe de citoyens réfléchis et déterminés puisse changer le monde; en effet, c’est la seule chose qui y est jamais parvenu. » (traduction libre) Par exemple, le mouvement pour l’abolition de l’esclavage a commencé de manière marginale et ne représentait pendant quelque temps, du moins aux États-Unis, qu’une faible minorité très peu prise au sérieux. Mais leurs idées ont fait leur chemin au fil des actions politiques et des contingences historiques. Par ailleurs, bien que discutable, une étude de psychologie sociale suggère qu’il suffit d’un seuil de 10 % de gens fermement convaincus à une nouvelle idée pour que celle-ci se répande dans le reste du groupe. Il existe évidemment de nombreux contre-exemples à cette hypothèse, et il est encore moins sûr qu’elle soit applicable à l’ensemble d’une société, mais n’empêche qu’il suffit de se rappeler que le pourcentage d’adhérents à une philosophie (et inversement, le nombre de gens qui y résistent) ne détermine pas si celle-ci pourra prendre de l’ampleur en tant que mouvement social. En un mot, la progression peut devenir exponentielle, et la clé se retrouve dans la détermination, l’organisation et l’action de ce groupe. L’Histoire nous appartient, et pour que ce mouvement réussisse, il faudra trouver des manières originales pour diffuser nos idées et toucher le coeur et l’esprit de la population générale.

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Comment pouvons-nous réduire la souffrance animale?

© Jo-Anne McArthur

© Jo-Anne McArthur

Il n’existe pas, à ma connaissance, de bonne justification à l’exploitation animale dans nos sociétés modernes. Les animaux non humains sont, comme nous, des êtres ayant leur propre vie psychologique et émotionnelle, leur propre personnalité; ils ont leurs préférences et leurs projets, de sorte que les exploiter, même de manière non souffrante (si une telle chose est possible), revient à les empêcher de vivre leur vie et à les traiter comme des ressources. Nous avons aussi la possibilité de bâtir des sociétés saines sans exploitation animale: nous avons la capacité de vivre d’une alimentation entièrement végétale, de nous vêtir autrement qu’avec des peaux d’animaux et de trouver d’autres formes de divertissement qui n’impliquent pas l’assujettissement de personnes vulnérables. En bref, nous devrions abolir l’exploitation animale et revendiquer la justice pour les animaux.

Personne ne se fait d’illusions: cette abolition ne surviendra pas du jour au lendemain. Elle n’en demeure pas moins souhaitable et nous devons militer dès maintenant pour son avènement. D’ailleurs, d’importantes discussions ont lieu dans le mouvement pour déterminer quelles sont les meilleures stratégies à cet effet. Mais en attendant, que faisons-nous des animaux existants qui se voient mutilés, martyrisés et tués dans les élevages? Ceux-ci ne méritent pas leur sort, mais nous ne pouvons pas les libérer de manière massive: non seulement ce serait impossible sur le plan logistique, mais les producteurs auraient tôt fait de faire naître une nouvelle génération d’animaux d’élevage qui subiront exactement le même sort. Les animaux continueront donc de souffrir tant qu’il y aura une demande pour leur exploitation et que les lois le permettront. Si nous avons nous-mêmes cessé de participer à leur exploitation, que pouvons-nous faire d’autre pour eux?

Je propose dans cet article une revue sommaire des deux principales familles de stratégies pour réduire la souffrance animale. D’autres sont possibles, mais je m’en tiendrai au débat le plus commun en dégageant les avantages et désavantages de chaque approche. En d’autres mots, cette présentation se veut à la fois critique et non critique: critique, car j’en profiterai pour soulever les problèmes posés par les différentes approches, et non critique dans la mesure où je ne trancherai pas en faveur de l’une ou de l’autre. Au risque de m’attirer les foudres des partisans des deux camps, je préfère encore suspendre mon jugement, car j’estime que la réponse est essentiellement empirique et que notre appréciation demeure pour l’instant spéculative et biaisée. J’ai moi-même mes méthodes de prédilection et mes inconforts quant à certaines stratégies, mais je choisis de ne plus mettre de bâtons dans les roues de ceux et celles qui militent d’une manière différente de la mienne. En attendant, je crois que nous avons tous intérêt à discuter de manière constructive de ces stratégies afin d’élargir notre répertoire et d’être conscients de nos limites. C’est aussi dans l’intérêt des animaux. Lire la suite